Sicut aquila, etc.
"Tel un aigle" :
Tel est l'exergue du Discernement de la vraie spiritualité de Henri Suso, huit chapitres annexés à la fin de sa "Vie" et adressés à Elsbeth Staglin.
Leur thème est "la chose sauvage sans nom" (daz namelos wilde).
Après cet exergue, il commence ainsi :
"Bienheureuse fille, le temps est venu de te rapprocher [de la sagesse sans images] et de t'élever hors du nid des images consolatrices nécessaire à ceux qui débutent. Tel un aiglon qui a grandi et dont les ailes - je veux dire les puissances supérieures de ton âme - ont pris de l'ampleur, il faut que tu t'élances vers la qualité de l'aigle : la noblesse contemplative d'une vie bienheureuse et accomplie." (trad. Wackernagel)
Telle est la véritable spiritualité sauvage, loin de la prétendue "omniscience" d'un corps idolâtré jusqu'à l'absurde par les faux spirituels que combat Suso dans ce livre, sans pour autant sombrer dans la vile calomnie.
Ce message est précieux aussi à notre époque, où l'on divinise les pulsions irrationnelles, où le bien et le mal sont inversés, où la droite raison est conspuée au profit des régressions infantiles prises pour des révélations spirituelles, où la victimisation à tout-va fait de chacun le délateur de son prochain au mépris de toute rationalité.
La spiritualité de Suso, comme celle de son maître Eckhart, n'incite pas à une régression dans l'infra-rationnel, mais à une "traversée du désert d'ignorance", par-delà une raison pleinement intégrée, à l'apex d'une culture nourrie des humanités.
La ténébreuse lumière de "l'un de l'âme" ne brille pas dans les marécages d'une rhétorique puérile, mais dans la nudité d'un esprit bien formé. Tel un aigle.