Avec ses ambitions d'origine, Yolt aurait pu (dû) être le moyen pour ING de réinventer la banque à l'ère « digitale ». Après des débuts prometteurs, suivis de quelques hésitations, les réorganisations et les changements de stratégie auront finalement raison de ses perspectives d'avenir : son application pour le grand public va être abandonnée.
En lançant, il y a 5 ans, la première version de son service au Royaume-Uni, où ING ne possédait pas d'activité de détail, Yolt esquissait alors l'hypothèse d'un autre modèle de banque, dont la mission consiste d'abord à fournir au consommateur une perspective à 360° de sa situation et des conseils personnalisés actionnables lui permettant d'atteindre ses objectifs et de réaliser ses rêves. Malgré ses limitations, notamment sur ce dernier volet, l'aventure avait conquis presque 1 million d'adeptes 3 ans plus tard.
Dans ces conditions, l'argument brandi pour justifier son arrêt – les projets ne parvenant pas à une taille critique en un temps raisonnable sont mis sur la sellette – paraît surprenant. Cependant, c'est surtout la démarche d'innovation déclinée sur Yolt qui, d'une manière générale, soulève énormément de questions. Certes, il est toujours admirable d'observer une organisation capable de mettre prématurément un terme à un projet qui court à l'échec. Encore faut-il que la décision procède de bonnes raisons.
En l'occurrence, la quasi absence d'évolutions significatives sur la solution depuis des mois, alors que tant reste à faire afin de satisfaire la promesse initiale, tient un peu du sabotage. En se contenant de quelques options d'optimisation de fournisseurs, Yolt n'a jamais franchi le pas de l'assistant financier universel qui aurait réellement assis son succès. Et, à force de retarder sa mise en œuvre, les utilisateurs se lassent et vont explorer les alternatives émergentes… dont certaines deviennent convaincantes.
En arrière-plan, il est impossible de ne pas imaginer que les récentes transformations organisationnelles d'ING jouent un rôle sur la sentence qui touche aujourd'hui Yolt. Le remplacement de l'équipe qui l'a conçue par des profils préoccupés surtout par les risques et les opérations est fatal à l'expérimentation de longue haleine. J'ai précédemment évoqué l'idée à l'occasion de l'interruption du programme de modernisation Maggie, elle s'exprime cette fois sur une tentative de disruption, naturellement difficile à appréhender.
L'exemple conduit plus profondément à s'interroger sur la capacité d'un grand groupe traditionnel à produire de l'innovation radicale. Outre qu'elle est souvent cannibale vis-à-vis de l'existant et donc perçue comme un danger à éliminer, celle-ci s'inscrit dans une durée longue, en requérant des efforts et des investissements constants. Comment des entreprises vivant au rythme des résultats trimestriels et des changements cycliques de dirigeants pourraient-elles faire preuve de la persévérance nécessaire ?
Avec Yolt, le défaut prend une dimension assez caricaturale, puisque le nouveau plan élaboré vise à focaliser l'attention sur son offre professionnelle d'API, capitalisant sur l'expertise d'agrégation de comptes acquise au fil des ans. Hélas, non seulement ce modèle n'a-t-il rien de révolutionnaire et ne pourra-t-il jamais rentabiliser les dépenses engendrées, mais, pire encore, il se positionne sur un marché désormais sévèrement encombré, où il ne dispose d'absolument aucun avantage spécifique à faire valoir.