Exercice un peu particulier pour vous, aujourd'hui, mesdames et messieurs qui passez par là. Vous allez pouvoir lire double ! Le texte ci-dessous. Et un texte que Tiphaine diffuse également ce jeudi 31 juillet, sur son blog (le sien est à découvrir ici). Des écrits que nous avons concocté chacun dans notre coin à partir du même sujet, sans nous concerter. Démarche sympa qui consiste à offrir deux traitement à partir d'un “carnet de commande” commun.
- Rachel, il faudrait que tu prennes la 4.
- Je ne peux pas pour l'instant, Dorothy. Tu prends le numéro, je rappellerai.
- Je serais toi, je la prendrais. Ca vient de France.
….
- Allo ?
- Vous êtes bien Rachel Valentier ?
- Oui. Qui la demande ?
- Je suis Robert Deflandre….
Des vies basculent d'un simple coup de téléphone. Comme ça. Clac. On se doute que ça peut exister et quand ça arrive, ça surprend quand même. Rachel avait lu des tonnes d'articles et de livres sur le sujet, vu des dizaines de films et de téléfilms où les destins étaient atomisés suite à l'intervention de cet instrument du diable, discuté des centaines de fois avec des collègues et des amis, de ces conversations qui finissent souvent par dire que le hasard n'existe pas mais que bon, quand même, le destin, c'était autre chose. Dorothy, qui partage l'appartement de Rachel depuis deux ans, avait là-dessus une théorie.
Cinq minutes après le coup de fil, elle appela John son supérieur pour lui signifier que séance tenante elle quittait le bureau, lâchait le rapport qu'elle était en train de finir sur la mort de ce Bill Swaithon, mort qui garderait quelques temps encore son mystère. Elle fut gré à John de ne pas insister, satisfaite de ne pas avoir à lui dire qu'en cinq ans, elle n'avait jamais quitté son lieu de travail et son pays d'adoption. Elle apprécia qu'il ne lui demande rien à partir du moment où elle lui expliqua qu'elle venait de recevoir un appel qui n'avait laissé aucune place au doute. Elle devait aller en France quelques jours. Elle s'en tint à cette version qui avait le mérite de ne pas affoler John. Sous ses airs paisible, avec ses pantalons de cuir et ses chemises qu'on dirait qu'elles avaient toutes été faites le soir à la lueur de la chandelle près d'une cheminée, il était de nature à paniquer dés que l'ordre des choses menaçait de s'effilocher. L'absence de Rachel était de cet ordre là tellement elle tenait à bouts de bras l'institut médico légal de Crossland. Elle y était entrée comme simple stagiaire, précédée d'une flatteuse réputation, appuyée sur un CV en béton armé, mue par son désir d'être loin de ….
Robert Deflandre avait simplement dit qu'elle était en train de partir, qu'elle voulait la voir, que c'était l'heure de lui révéler le secret. Mais Rachel savait. Il n'avait donc pas insisté quand elle lui avait dit : Je sais. C'était un savoir qui ne ressemblait pas à de la connaissance. Quelque chose de plus profond, d'inexplicable, en fait. Elle avait compris d'un coup d'un seul, après ce coup de fil, qu'il avait été vain, pendant toutes ces années, de croire que la distance allait l'aider dans quoi que ce soit. Elle avait redouté cet appel, et l'avait en même temps attendu. Maintenant, il était arrivé et tout se passait comme prévu.
Curieuse sensation. Peut-on prévoir ainsi ce qui va arriver ? Peut-on ainsi dire que tout se passait comme prévu ? Dorothy pensait que non, Rachel savait que oui, et c'est pour cela qu'elle n'insistait jamais quand son amie s'aventurait sur le sujet, surtout avec quelques bières dans la nuque.
Rachel n'avait donné ses coordonnées à personne en partant cette nuit du 23 octobre. Ses larmes avaient été immenses, largement de quoi alimenter le Couaron, ce petit ruisseau qui dégringolait joyeusement et parfois impétueusement dans le champ sous la maison que ses parents avaient hérité de Tante Lou. Tante Lou qui venait de la faire appeler sans équivoque. C'était l'heure du secret.
En rentrant dans son appartement, la cinquième rue ressemblait déjà à un souvenir pour Rachel. Une parenthèse qui d'un coup de fil s'était refermée. Elle avait d'ailleurs l'impression que chacun de ses gestes était comme gravé dans sa mémoire. Peut-on ainsi être tatoué ? Dorothy dirait sûrement que non, évoquerait les coïncidences, trouverait à explorer le passé pour faire observer que c'étaient simplement des moments qui se ressemblaient, mais Rachel savait que si. Que oui.
Elle n'avait d'ailleurs pas l'impression d'avoir vécu ce moment-là. C'était plutôt que tout se déroulait par delà elle, comme si une force d'ailleurs avait pris en main les événements et comme si tout était simplement conforme à un programme établi.
Aucune odeur ne lui avait échappé et après l'avion, le taxi, le train, elle avait fini par retrouver la maison. Tante Lou lui avait fait signe de s'approcher avec un sourire à la fois usé jusqu'à la corde et lumineux comme une étoile polaire. Rachel prit une chaise près du lit, s'approcha de sa tante, lui saisit la main pour que coule en elle le secret. Elles restèrent ainsi pendant un temps qui échappa au temps.
Le lendemain, Rachel sut que Tante Lou était partie dans la nuit. Elle avait rêvé dans toutes les langues et s'était retrouvée dans toutes les époques. Elle se leva et se décida. Elle voulait tout finir proprement. Elle appela son bureau, pour dire qu'elle ne reviendrait pas. Elle pris contact avec un notaire, pour mettre en vente la maison, et surtout fixer le prix de vente qui serait celui qu'un acheteur allait accepter dans douze jours. En allant se promener dans la lande, elle chercha comment elle pourrait prévenir le président et trouva que le mieux était encore d'aller directement là où dans le secret, il passait ses vacances. Ce n'était pas très loin d'ici. Elle sut qu'elle pouvait attendre demain, et alla s'acheter quelques habits, une voiture. Tante Lou avait laissé beaucoup d'argent. Au bureau, elle avait indiqué que tout ce que l'entreprise lui devait devrait sans perdre un instant être versé à la tribu Huron, dont on venait d'apprendre qu'elle était en renouveau. Des descendants s'étaient retrouvés, avait fondé une famille, s'était installés près du Niagara et avaient besoin de fonds. I
Elle rencontra le président alors qu'il descendait de la montagne. Elle s'approcha de lui sans que les gardes du corps esquissent le moindre geste et lui parla. Longuement. Il l'écouta, attentivement Elle lui expliqua dans le menu détail et il opinait du chef, régulièrement. Il lui promit de faire une conférence de presse très rapidement et avec son portable, prévint immédiatement les services secrets pour qu'ils bloquent les gares et les aéroports, puis consulta l'ONU et affréta un avion pour Rachel.
Il fallait qu'elle aille retrouver celui qui deviendrait son mari. Et le père de son enfant. Une fille. Elle l'appellerait évidemment Lou.