Dans la pratique de la méditation telle qu'elle est popularisée actuellement, l'inspiration bouddhiste est évidente. On met donc l'accent sur l'éveil, la vigilance, on met en garde contre la torpeur. Méditer n'est pas s'endormir, dit-on.
Mais il existe d'autres traditions de méditation. Des visions différentes. Par exemple, celle de Ramana Maharshi. Selon lui, la méditation ne sert pas à devenir plus calme, etc., mais à atteindre le bonheur vrai, inébranlable et, surtout, bien au-delà de toutes nos capacités à l'imaginer.
Pour cela, il faut plonger à la source de l'esprit, dans la pure sensation d'être ("je suis je"). Or, si je m'assois et que je "plonge" ainsi, il peut arriver que je m'endorme. Est-ce mal ?
Selon Ramana, non. Il explique que ce que nous prenons pour de l'inconscience est, en réalité, pure conscience, une lumière si pure qu'elle passe, aux yeux du mental ignorant, de l'attention distraire, pour de l'inconscience. Quand on s'endort ainsi, dans cet abandon confiant, on se réveille.
Dès lors, ce sommeil est éveil. On y est conscient de rien, non pas ignorance, mais au contraire, parce qu'il n'y a que conscience. Rien d'autre. Et c'est ce "rien d'autre" que l'on prend, au "réveil", pour de l'inconscience. Le regard que Ramana nous fait découvrir est donc l'inverse de la vision habituelle : le sommeil est éveil, et le réveil est un endormissement. Un assoupissement illusoire car, en réalité, nous sommes toujours endormis, c'est-à-dire toujours pleine conscience parfaitement éveillée. "Parfaitement éveillée", c'est-à-dire pure conscience sans rien d'autre, c'est-à-dire inconscience, du point de vue de l'état de veille ignorant.
Voici ce qu'il dit (traduit de l'anglais, lui-même traduit de l'original tamoul) :
"Quand les habitudes immémoriales, impures, qui sont les causes des états de rêves et de veille, sont anéanties, alors le sommeil, qui était vu d'un mauvais œil, décrit comme un vide et dénigré en tant qu'ignorance, sera révélé comme l'état ultime.
Si l'on réalise l'état de vigilance immuable - notre être de conscience - jusqu'à ce que le sommeil nous envahisse, il n'est pas nécessaire de se sentir désolé, avec le sentiment que 'Hélas, l'illusion du sommeil d'ignorance, l'oubli, a encore pris le dessus !" (Guruvacakakovai, 460 et 462)
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Ces deux versets sont d'une importance cruciale : méditer et s'endormir, c'est s'éveiller. C'est s'abandonner à l'être fondamental, dans le vide véritable au-delà de toute emprise, de tout contrôle. Ce n'est plus faire, c'est se laisser faire. S'il y a un semblant de vigilance apparente, c'est bien. Mais, s'il n'y a "plus rien", c'est bien aussi. Car notre être véritable est au-delà de toute représentation, de toute pensée, de toute expérience objective que l'on puisse indiquer.
La méditation n'est donc pas une torture où l'on contrarie la nature, mais simplement le cours naturel des choses, avec simplement un petit surcroit de confiance. On ne saurait exagérer l'importance de ce point. S'endormir n'est pas un mal.