Le paradoxe Sarkozy
juillet 30th, 2008 Posted in France, Sarkozisme et bling blingNicolas Sarkozy fait partie de ces hommes politiques à qui l’on prête systématiquement des intentions, un dessein, et pour lesquels chaque attitude, chaque regard, chaque geste donne lieu à interprétation. On l’a vu récemment avec Bertrand Delanoë qui avait estimé que les critiques acerbes à l’égard de Jack Lang étaient le résultat d’un piège tendu aux socialistes par le puissant Sarkozy.
Le fantasme de la toute puissance de l’homme machiavélique n’est pas nouveau. Souvenons-nous de François Mitterrand dont les moindres œillades étaient scrutées et analysées. L’intéressé savait l’avantageux parti qu’il pouvait politiquement retirer de la fascination qu’il inspirait tant chez ses admirateurs que chez ses contempteurs les plus acharnés : faire comme si on était à l’initiative des choses alors qu’on les subit en réalité.
Ceci lui a joué néanmoins de mauvais tours, par exemple lorsque la droite l’avait accusé d’avoir fait instaurer le scrutin proportionnel uniquement dans le but de faire entrer le Front National, en mars 1986, à l’Assemblée nationale et ainsi de diviser et d’affaiblir le RPR et l’UDF. Or, il s’agissait tout simplement à l’époque de mettre en œuvre une des 101 propositions de son programme présenté aux Français durant l’élection présidentielle de 1981. Le programme du candidat Mitterrand, élaboré tout au long des années 1970, ne pouvait évidemment pas tenir compte de la montée en puissance de l’extrême droite. Pourtant, rappeler ce fait, même aujourd’hui, ne sert quasiment à rien. Le mythe du manœuvrier génial l’a emporté sur la réalité de la vie politique ordinaire.
Cependant, on ne peut pas dire que Sarkozy est machiavélique au sens où on l’entendait pour Mitterrand. La « puissance manoeuvrière » que certains lui prêtent ne résiste pas au paradoxe du personnage. En effet, à peine Sarkozy tente-il de comploter que son inconscient conspire à sa place. Le calcul cède alors le pas à l’improvisation. A la mauvaise improvisation, celle qui en dit long sur la nature profonde de l’homme. Il existe un adage populaire à ce sujet : « Chassez le naturel, il revient au galop. » Ou bien encore l’expression « l’arroseur arrosé. » Ce paradoxe s’est vérifié maintes fois depuis qu’il est au pouvoir.
Un exemple parmi d’autres : « J’ai changé ». Rarement un politicien n’aura affirmé avec tant de fougue une transformation intime. Sortez vos mouchoirs et préparez-vous à écraser une petite larme. Séquence émotion :
«J’ai changé. J’ai changé parce qu’à l’instant même où vous m’avez désigné j’ai cessé d’être l’homme d’un seul parti, fût-il le premier de France. J’ai changé parce que l’élection présidentielle est une épreuve de vérité à laquelle nul ne peut se soustraire. Parce que cette vérité je vous la dois. Parce que cette vérité je la dois aux Français.
J’ai changé parce que les épreuves de la vie m’ont changé. Je veux le dire avec pudeur mais je veux le dire parce que c’est la vérité et parce qu’on ne peut pas comprendre la peine de l’autre si on ne l’a pas éprouvée soi-même.» (Nicolas Sarkozy, au Congrès de l’UMP, le 14 janvier 2007)
Pour la petite histoire, il faut savoir que ce discours contient en tout et pour tout treize fois le terme «j’ai changé». A ce niveau là, ce n’était plus de l’affirmation, c’était de la méthode Coué. Et pour quel résultat ? L’exact contraire !
Depuis le 6 mai 2007, le Leader Minimo se comporte en effet comme un véritable chef de parti. Il ne manque jamais de faire une apparition au Conseil National de l’UMP. La dernière fois, il y a même pris la parole pour se livrer, avec son sens de l’humour très aléatoire, à une odieuse provocation sur les grèves « qu’on ne voit plus ». Plus fort encore, Nicolas Sarkozy a fait annoncer qu’il participera à l’université de l’Union des Menteurs Professionnels (UMP). Une première sous la Cinquième République, qui positionne clairement le président « Bling Bling » en chef de bande et non en chef d’Etat.
Et que dire alors de sa vie privée, étalée complaisamment et instrumentalisée à des fins électorales ? A la lumière du vaudeville auquel les Français ont assisté ces derniers mois, le discours du 14 janvier 2007 n’en est que plus pitoyable.
On voit bien que l’habileté de Sarkozy est extrêmement relative, pour ne pas dire inexistante. Toutes ses affirmations, proférées avec la morgue et le culot du bonimenteur, trouvent leur incarnation dans leur négation même, parce qu’il ne peut lutter, au fond, contre ses penchants pour l’esbroufe, le dérisoire, et le ridicule.
C’est la raison pour laquelle on ne peut pas être totalement étonné de la dernière lubie présidentielle lors du Conseil des Ministres du mardi 29 juillet. N’étaient-ils pas pitoyables ces ministres qui, dans la cour d’honneur de l’Elysée, se sont faits les représentants de l’industrie du déchet consommable en brandissant le dernier album de Carla Sarkozy ? Mais que n’aurait-on pas vu, lu et entendu de la droite, et de l’ensemble des médias, si des ministres socialistes avaient agi ainsi ?
Et là, comme si de rien n’était, la France est conviée à communier autour du déchet. «Achetez-le, il est bien !» alors que, quelques heures auparavant, le conseil des ministres était occupé à mettre la dernière touche aux projets de lois antisociaux que le gouvernement présentera à la rentrée (ex : la réforme Boutin sur la loi SRU, la fermeture de nombreux hôpitaux publics, etc.). Que font-ils ces ministres sinon tenter d’instaurer une fausse proximité avec les Français en faisant l’éloge de cette excrétion vaguement musicale rythmée par des crises d’asthme ?
Après cette dernière pantalonnade ministérielle, qui vient couronner plusieurs mois de comédie, il est assez logique que certains blogueurs puissent éprouver de la lassitude à l’égard de Sarkozy. L’homme est devenu totalement transparent. Aucun des masques dont il peut s’affubler au gré des circonstances politiques ne dissimulent les affects qui l’agitent.
Il était donc grand temps qu’il prenne un peu de repos. Car la rentrée sera chaude. Très chaude.