" Les récits complotistes ont toujours existé et ils ont toujours fait partie de la narration globale. D'ailleurs, plus les sociétés se sont structurées, plus ils ont été importants. Ils sont une forme de contre-discours et l'analyse par ceux qui ne savent pas l'observer. (...) Il existe une maladie en psychiatrie qui s'appelle l'apophénie. C'est le fait de voir des choses qui n'existent pas, et le complotisme est à la fois un facteur et un symptôme des sociétés modernes. " (Thomas Huchon, le 25 août 2021 sur Public Sénat).
Dans quelques jours, le samedi 11 septembre 2021, aura lieu le vingtième anniversaire des attentats du 11 septembre 2001 aux États-Unis. Quatre avions détournés qui se sont écrasés, deux sur les deux tours géantes du World Trade Center (WTC) à Manhattan, le quartier d'affaires de New York, symbole de la grandeur économique du pays, un sur le Pentagone à Arlington, tout près de Washington, symbole de la puissance militaire du pays, et un autre qui a "réussi" à éviter une quatrième cible qui aurait été la Maison-Blanche, symbole et cœur politiques des États-Unis, et qui est tombé en Pennsylvanie, à Shanksville.
En tout, sans compter les 19 terroristes auteurs de ces quatre attentats-suicides, 2 977 personnes y ont laissé la vie, dont 2 753 dans les deux tours jumelles du WTC, dont 343 pompiers et 60 policiers. Seules, 1 643 victimes ont été identifiées. De plus, il y a eu 6 291 personnes blessées, mais outre les États-Unis, c'était le monde entier qui a été blessé, traumatisé, y compris la Russie qui a été l'un des premiers pays à exprimer sa solidarité avec le peuple américain.
J'ai déjà eu l'occasion d'écrire que ce 11 septembre 2001 avait marqué l'histoire du monde. Le changement a commencé le 9 novembre 1989 (l'inverse pour les mois et jours 9-11 et 11-9) avec la chute du mur de Berlin, un point de singularité historique positif, la fin définitive du bloc communiste et la victoire des démocraties libérales, contrariées par cette horreur de la terreur islamiste qui est le pendant négatif de la singularité avec un nouvel "ennemi", le terrorisme islamique qui peut se décliner sous divers visages, parfois antagonistes, partout dans le monde.
Comme un pied de nez de l'histoire, les Talibans, chassés par la coalition internationale créée à la suite du 11 septembre 2001, sont revenus à Kaboul parallèlement au départ de cette coalition internationale dont le bilan politique est très amer.
Vingt ans, c'est une génération. Pour les jeunes, c'est déjà dans les manuels d'histoire mais sans connaissance "en direct". Et c'est cela qui est important : plus l'événement est lointain, plus on peut dire n'importe quoi. En quelque sorte, je comprends très bien pourquoi les rescapés des camps d'extermination se sont pour la plupart tu lors de leur retour dans leur pays d'origine. Pourquoi témoigner alors que c'était absolument indicible, incroyable ? On ne les aurait pas crus. Heureusement, certains sont passés outre, comme Primo Levi, mais le risque de mépris, d'indifférence, de rejet de leurs témoignages était trop grand. C'était incroyable, alors pourquoi les auraient-on crus ? Même s'ils étaient eux-mêmes la preuve vivante de cette horreur industrielle. Sans compter le complexe de culpabilité d'avoir survécu. Mieux valait tourner la page et vivre l'avenir sans retour vers le passé. Il a fallu attendre des décennies avant d'entendre ces témoins traumatisés, parfois sur leur lit de mort. Aujourd'hui, il n'en subsiste plus beaucoup. Ils vont surtout dans les écoles, témoigner discrètement, en dehors du fracas médiatique et des polémiques inutiles, inutiles sauf pour gagner de l'argent.
Le complotisme naît souvent de l'incrédulité. Par un sophisme carrément sauvage, on s'exonère de la croyance aveugle d'une "version" des faits par un doute salutaire, mais aussi par une replongée encore plus crédule dans une "version" complètement stupide (avec des variantes puisque cette nouvelle version ne repose sur aucun fait).
Les fausses informations, les raisonnements détournés de raison, l'exploitation d'événements particulièrement traumatisants, les interprétations loufoques et hasardeuses ont toujours existé depuis que l'homme est homme, comme disait le journaliste Thomas Huchon, mais les attentats du 11 septembre 2001 sont arrivés à un moment où la société mondiale s'était équipée de smartphones, d'ordinateurs portables, avec des contenus qui sont devenus quelques années des réseaux sociaux où le moindre pet de cigogne se fait entendre à l'autre bout de la planète en quelques microsecondes, le temps de parcourir la fibre optique ou de passer de satellites en satellites.
J'aurais voulu écrire qu'avec ces attentats, jamais on n'avait écrit autant de stupidités complotistes sur un événement... mais depuis un an et demi, il m'est pénible de constater que la destruction du World Trade Center est du pipi de chat complotiste à côté de toutes les bêtises qu'on peut lire sur la pandémie de covid-19. Sournois, les propos complotistes n'affirment jamais rien mais remettent tout en cause, même quand il n'y a plus débat sur le sujet. En posant quelques questions manipulatrices, qui dévoilent surtout ignorance et incompétence du sujet, les complotistes sont censés faire réfléchir et amener leurs interlocuteurs à aboutir eux-mêmes à des conclusions particulièrement fantaisistes (je conseille, comme exercice de belle désinformation, de regarder la série documentaire "Alien Theory" aux images très belles, mais disant n'importe quoi, de l'origine de l'homme venu de Mars à la connaissance des hélicoptères par les pharaons).
Je n'ai pas lu les volumineux rapports pondus depuis vingt ans sur ces attentats de 2001, parfois par les commissions d'enquête particulièrement rigoureuses et indépendantes, mais j'ai lu de nombreuses absurdités complotistes sur le sujet et il serait bien vain de vouloir utiliser la raison pour tenter de raisonner ceux qui sont manipulés par ces propagandistes du complot-minute (un complot à la minute, comme la cocotte-minute). C'est la loi de Brandolini : il est plus facile de créer une fausse information que de la démonter. C'est donc techniquement impossible de démonter toutes les fausses informations, et de toute façon, ce n'est plus une question de raison mais de croyance, et cela paradoxalement au nom de l'incrédulité.
Néanmoins, on peut comprendre toute l'imbécillité des théories complotistes quand on peut apprécier personnellement des faits avec ses propres observations. J'ai deux exemples en tête concernant le 11 septembre 2001.
Il se trouvait qu'à cette époque, je travaillais pour un groupe américain de nouvelles technologies. Je travaillais notamment avec une collègue américaine qui venait de s'expatrier en France. Elle était alors installée dans le même bureau que moi (provisoirement). Elle ne parlait encore pratiquement pas le français (elle l'apprenait) mais adorait déjà la France (il en existe, même d'origine texane !), ayant déjà visité par exemple la Corse. Mon bureau était plutôt spacieux et la porte était vitrée. C'était une question de sécurité, pouvoir voir tous les salariés du couloir, si par exemple, j'étais évanoui, qu'on puisse venir me secourir rapidement. Mais comme j'étais dans un couloir très passant, pour éviter les centaines de regards indiscrets, j'avais scotché un grand poster à l'intérieur, contre la vitre, pour montrer à l'extérieur une magnifique photographie de New York by night, où l'on voyait évidemment les deux tours jumelles, un peu l'équivalent de silhouette de notre Tour Eiffel. Après les attentats, j'ai rapidement été gêné lors de la venue de mes premiers visiteurs américains d'après attentats, ayant oublié ce poster qui pouvait leur rappeler de terribles émotions. Je l'ai immédiatement déchiré et mis à la corbeille.
Mais revenons à ce jour funeste. C'était dans l'après-midi et les premières informations qui arrivaient étaient qu'il y avait eu un acte de guerre contre New York. C'était bien avant l'effondrement des tours, mais après le choc du premier avion. Il devait être aux alentours de 15 heures. Ma collègue et moi-même, nous avons plongé sur mon ordinateur, à la recherche de "news" souvent floues et contradictoires. Nous avons vu en direct le deuxième avion ainsi que l'effondrement des deux tours. Vous imaginez l'état de choc de ma collègue (et le mien).
Ce n'était pourtant pas cela qui l'avait choqué le plus. D'autres informations nous parvenaient. Tous les aéroports américains mais aussi européens ont fermé. Beaucoup de pays se mettaient en état de guerre. Certains avions à destination des États-Unis ont dû faire demi-tour. Rien ne disait que des actes de guerre ne surviendraient pas dans d'autres pays alliés aux États-Unis. Pendant ce temps, je l'ai vu après coup, cette image de George W. Bush, en train de discuter avec des écoliers, apprenant en direct le sinistre événement. Il semblait cauchemarder. Tout le monde cauchemardait. On a parlé d'un troisième avion qui est tombé sur le Pentagone. Sommet de l'émotion. Pour ma collègue : son père était en train de travailler au Pentagone. Ensuite un quatrième avion. Cette multitude d'informations, et probablement, dès ce moment, de désinformations a renforcé l'émotion de ceux qui pouvait être touché de près.
Ma collègue est allée rejoindre d'autres expatriés américains au consulat à Paris le soir, une soirée de recueillement, de solidarité, d'information. Selon les premiers constats, aucune personne de mon entreprise n'était présente au World Trade Center ce matin-là. Le père de ma collègue a aussi réchappé au pire, mais dans le bâtiment détruit, il y a eu beaucoup de dégâts, et le crash a tué les 64 passagers de l'avion et 165 personnes travaillant au Pentagone.
Or, la première désinformation médiatisée de ces attentats, provenant d'un livre d'un pseudo-journaliste que je ne citerai pas et qui s'est expatrié entre-temps dans un pays plus prometteur en manipulations, c'était qu'il n'y aurait jamais eu d'avion s'écrasant sur le Pentagone. Je savais nécessairement que cette idée était fausse, et le pire, c'est que sur Internet, on peut retrouver en deux minutes une vidéo d'une caméra de surveillance qui a filmé cette horreur.
Le soir, je suis rentré chez moi relativement tôt (avant 20 heures). Je me demande aujourd'hui pourquoi je n'ai pas accompagné ma collègue américaine au consulat. Je me disais que je n'étais pas Américain et que ce n'était pas ma place. C'était probablement une erreur. Dès mon arrivée chez moi, j'ai bien sûr mis la télévision. À l'époque, il n'y avait pas du chaîne d'information continue, du moins sur les chaînes hertziennes classiques, mais TF1 et France 2 étaient en information continue elles-mêmes, une sale habitude prise depuis la Guerre du Golfe quand il y avait des événements majeurs.
Je ne sais plus laquelle des deux chaînes laissait en continue l'image de la chaîne américaine CNN afin d'assister en direct aux mêmes informations que les Américains, avec un doublage en français des déclarations. Ce fut sur le coup de 23 heures que j'ai bien entendu une présentatrice américaine annoncer que des pompiers ou des policiers (je ne sais plus) avaient bourré d'explosifs la septième tour du WTC parce que les fondations se fissuraient et que le bâtiment allait s'écrouler, trop secoué par les deux premiers effondrements. Ils avaient pris leur temps et avaient réussi à la faire évacuer. Puis, j'ai assisté devant mon téléviseur en direct à l'effondrement programmé de cette septième tour. Tout était logique et expliqué, explicable en tout cas.
Je n'étais évidemment pas à New York ce soir-là, mais je me rappelle très bien la chronologie, les raisons, la scène, cette présentatrice, ces images qu'on peut retrouver sur Internet. Ce n'est que bien plus tard que j'ai lu que des théories complotistes complètement stupides parlaient de l'effondrement de la septième tour, amalgamaient en disant que les deux tours jumelles avaient été aussi bourrées d'explosifs, etc. Pourtant, il n'y avait aucun mystère, puisqu'il fallait éliminer un danger, une menace urgente, en précipitant la destruction de la septième tour. Simplement, le ou les auteurs de cette théorie n'avaient pas vu que cette explosion s'était faite en toute transparence, en direct devant des dizaines de millions d'Américains (et d'Européens).
Les théories fumeuses jouissent de la mémoire qui s'effiloche de ceux qui ont pu voir, observer, à l'époque des faits et qui pourraient invalider ces théories fumeuses. Et finalement, être témoin par la télévision n'empêche pas l'être, les images n'étaient pas inventées, et ici, je ne veux pas réfuter toutes les affirmations fumeuses, sinon pour dire que la probabilité est beaucoup trop faible pour qu'un véritable complot reste toujours dans le secret de la conscience de dizaines de milliers de personnes aussi longtemps (vingt ans), dont certains auraient pu avoir mauvaise conscience, regretter, se confesser sur leur lit de mort, etc. Impossible qu'il n'y ait pas eu des fuites. Quand on sait que le moindre fait et geste est quasiment en direct reproduit sur les réseaux sociaux, comment un tel secret aurait-il pu durer aussi longtemps ?
Cette observation par la télévision a son intérêt : c'est que c'est facilement retrouvable, que plusieurs personnes, des millions de personnes peut-être, ont été capables de voir les mêmes faits. Je termine par une fausse information dérisoire. Dérisoire car c'est sans intérêt mais cela montre à quel point cette culture du complotisme est fertile, souvent sur un élément d'incompréhension, car il manque une information, une donnée qui peut expliquer un fait qu'on pourrait trouver "bizarre" ou "insolite", voire choquant.
C'était le 1 er septembre 2021. Le Président de la République Emmanuel Macron a entamé sa visite de trois jours à Marseille. Une "séquence" importante, la visite des quartiers nord, la rencontre avec les habitants. Concrètement, rien de concret n'en sortira, mais c'est un exercice essentiel, d'écoute de la population, d'empathie (Emmanuel Macron sait y faire), avec risque de débordement, voire de gifle. Toutes les télévisions étaient là, à l'affût du moindre incident, ou d'un dialogue remarquable, en quête d'un futur buzz.
Pendant qu'il marchait dans la rue, pas très loin de ses gardes du corps, il y avait surtout des jeunes, de l'autre côté de barrières, et le Président est venu vers eux, leur parler. C'était le but. Moi, j'ai tout de suite remarqué quelque chose : Emmanuel Macron était le seul qui portait un masque, dehors, en plein soleil, ciel bleu. Tous ses interlocuteurs, les jeunes, étaient sans masque mais on pouvait l'accepter, c'était en plein air, même si les distances de sécurité n'étaient pas respectées.
Et puis, un moment qu'il allait en marchant d'un pâté de maisons à un autre, il a parlé avec un proche, un assistant, et ce qu'on entendait vaguement, c'était (en substance) : ah oui ? le masque n'est pas obligatoire dehors ? Bon, d'accord, je l'enlève. Et il s'est mis à enlever son masque et à continuer à rencontrer d'autres habitants sans masque.
Il n'a fallu que quelques heures pour que des sites complotistes, ou plutôt, actuellement spécialisés dans l'antimacronisme primaire, en fissent leurs choux gras : ah, regardez ! Macron ne porte pas de masque, se moque des gestes barrières alors qu'en classe scolaire, les enfants doivent porter des masques (je ne ferai pas l'injure de rappeler qu'une salle de classe n'est pas en plein air à Marseille, aussi vétuste soit-elle).
Bref, tout est bon pour critiquer, mais critiquer Emmanuel Macron sur les gestes barrières à Marseille alors qu'il était probablement le seul qui les respectait au mieux, c'est d'autant plus stupide qu'Emmanuel Macron a certainement bien d'autres points où on peut le critiquer, mais ...intelligemment (par exemple, sur ce qu'il a dit le lendemain, mais pour cela, il faudrait écouter ou lire son discours, ce qui doit un effort insurmontable pour les professionnels des stupidités complotistes).
C'était dérisoire mais c'était exactement la même mécanique que pour la septième tour : il suffisait de regarder la télévision pour comprendre la stupidité de ces affirmations fumeuses et pour les démonter. C'est pour cela qu'il faut savoir choisir son camp dans la guerre des sources : Ce qu'on veut entendre ou ce qu'on veut apprendre. Des sites qui ont toujours diffusé des informations pourries, rien ne peut sortir de bon et fiable.
Restent donc simplement les "vrais" journalistes, ceux qui sont payés pour faire de l'information et qui sont bien sûr parfois très critiquables, souvent par leur inculture et leur manque de perspective dans le temps, ils peuvent se tromper, ils peuvent même vouloir tromper les autres, manipuler, mal interpréter, mais dans tous les cas, la bataille d'ego étant ce qu'elle est, la concurrence tellement rude, que lorsqu'un "vrai" journaliste dit une bêtise, il y aura forcément un autre collègue pour le rembarrer et s'assurer une courte gloire avant une prochaine "séquence". Car il ne faut pas croire, les journalistes sont comme des mandarins d'hôpitaux, ils sont des individualités solitaires, sont rarement solidaires et ne ratent jamais leurs proies, c'est pour cela qu'il y a une régulation naturelle au marché de l'information : le faux ne tient jamais bien longtemps, de nos jours, et c'est heureux.
Aussi sur le blog.
Sylvain Rakotoarison (04 septembret 2021)
http://www.rakotoarison.eu
Pour aller plus loin :
Les attentats du 11 septembre 2001 et la naissance du complotisme 2.0.
Les attentats du 11 septembre 2001.
Complot vs chaos : vers une nouvelle religion ?
Nouveau monde.
Qu'aviez-vous fait le 11 septembre 2001 ?
11 septembre, complot ?
Les théories du complot décortiquées sur Internet.
Ben Laden, DSK, même complot ?
L'attentat de Kaboul du 26 août 2021.
Jacques Hamel, martyr de la République autant que de l'Église.
Fête nationale : cinq ans plus tard...
https://rakotoarison.over-blog.com/article-sr-20210911-attentat-world-trade-center.html
http://rakotoarison.canalblog.com/archives/2021/09/01/39117192.html