On me conduit devant le peloton d'exécution. Le temps s'étire, chaque seconde dure un siècle de plus que la précédente. J'ai vingt-huit ans.
Premier sang commence ainsi. L'histoire semble se répéter puisque le père du narrateur, André, est mort à vingt-cinq ans, quand il avait huit mois, dans un accident de déminage:
Comme quoi mourir est une tradition familiale...
Sa mère, Claude, ne s'est jamais remise de cette disparition. Ce n'est pas son fils Patrick qui pourrait jamais l'en consoler. Elle ne se remarierait pas. Patrick serait son unique enfant:
L'idée qu'il lui faille remplacer son amour pour son époux par l'amour d'un enfant l'indignait...
Aussi, préférant se livrer à des mondanités, sans songer à remplacer André, accepte-t-elle de le confier à Bonne-Maman, sa mère. Alors que Patrick a six ans, Bon-Papa, a une bonne idée:
Il faut l'envoyer chez les Nothomb.
C'est-à-dire dans sa famille paternelle, pour l'aguerrir. C'est ainsi qu'il passe ses vacances d'été, dans les Ardennes, au Pont d'Oye, un château situé à six kilomètres de Habay-la Neuve.
L'aguerrir n'est pas un vain mot. Ce qu'il va y apprendre lui servira pour le reste de ce qui pourrait bien être une courte existence et, contre toute attente, il en gardera un souvenir heureux.
Ce fut au point qu'il y retourna l'hiver suivant dans des conditions plus sévères encore. Ayant survécu à ce qu'il faut bien appeler de véritables épreuves, il y passa désormais chaque été.
Lors de l'été de ses quinze ans, il fit preuve toutefois d'une faiblesse qui donne son titre au livre, qui mit fin à ses rêves d'enfant et le conduisit dans la carrière, c'est-à-dire dans la diplomatie.
Amélie Nothomb rend un bel hommage à Patrick Nothomb, car non seulement elle ne sous-estime pas sa rage de survivre, mais elle restitue pieusement sa singulière tournure d'esprit:
Tout à l'heure, j'ai déploré de mourir en pleine santé. Maintenant, je trouve bon de mourir ainsi. Je vais pouvoir vivre la mort à fond, l'embrasser de ma jeunesse.
Francis Richard
Premier sang, Amélie Nothomb, 180 pages, Albin Michel
Livres précédents chez le même éditeur:
Le voyage d'hiver (2009)
Une forme de vie (2010)
Tuer le père (2011)
Barbe bleue (2012)
La nostalgie heureuse (2013)
Pétronille (2014)
Le crime du comte Neville (2015)
Riquet à la houppe (2016)
Frappe-toi le coeur (2017)
Les prénoms épicènes (2018)
Soif (2019)
Les aérostats (2020)