Ciel de nuit blessé par balles, de Ocean Vuong, traduction de Marc Charron (éd. Mémoire d'encrier)

Publié le 01 septembre 2021 par Onarretetout

Ocean Vuong est né à Saïgon en 1988. Il est arrivé aux États-Unis à l’âge de 2 ans.

Un soir, j’ai ouvert ce livre. J’ai lu quelques pages lentement. Et puis j’ai refermé le livre. Éteint la lumière. Et me suis endormi.

Le lendemain matin, j’ai repris le livre. N’ai pas reconnu ma lecture de la veille. 

Et ainsi, plusieurs soirs et plusieurs matins.

Ocean Vuong me parlait.

abc abc abc

Elle ne sait pas ce qui vient après.
Alors nous recommençons :

abc abc abc

Mais je peux voir la quatrième lettre :
une mèche de cheveux noirs, détachée
de l’alphabet
et inscrite
sur sa joue.

(…)

abc abc a… le crayon se casse.

Le b se crève le ventre
alors qu’une sombre poussière soufflée traverse
les lignes bleues du ciel.

(…)

Ocean Vuong me parlait de sa mère.

Plus tard encore, dans les « fragments d’un cahier », voici un homme.

J’ai rencontré un homme. Je promets d’arrêter.

Le pillage d’un village est un bon exemple de rime parfaite. C’est ce qu’il a dit.

C’est un Blanc. Ou peut-être étais-je seulement à côté de moi-même, à côté de lui.

Peu importe, j’ai oublié son nom par coeur.

Il dit ailleurs, dans un entretien à la Maison de la Poésie : « C’est la condition humaine que de combattre, que de détruire, et la littérature parle de ces questions-là. Les idiomes américains sont pleins de violence parce que c’est une nation qui a été fondée sur la violence. Les fondements mêmes des États-Unis sont intimement liés à l’esclavage et au génocide des populations autochtones… Depuis qu’il y a des soldats, tant qu’il y aura des soldats, il y aura aussi des poètes. (Il cite Homère, Apollinaire, et plusieurs auteurs américains). »

Dans ce recueil, vous croiserez aussi le soldat américain qui « a baisé une jeune fermière vietnamienne. D’où le fait que ma mère existe. / D’où le fait que j’existe. D’où le fait que : / pas de bombes = pas de famille = pas de moi. » Vous verrez aussi le père : « Écrire le mot père / suffit même pour découper une partie du jour / d’une page éclatante comme une bombe. »

Avant de lire aussi, peut-être, son roman, Un bref instant de splendeur (éd. Gallimard), relisez donc ces mots qui terminent le recueil que je relis encore et encore :

Qu’importe si mes plumes
      sont en flammes. Je
n’ai jamais demandé à voler.
        Seulement à éprouver
plein, complet,
      ce sentiment, cette façon qu’a la neige
de toucher la peau nue, et soudainement
            de ne plus
être neige.