Le premier qualificatif qui vient à l’esprit quand on parle de ce pays est celui de montagneux. C’est l’impression de tous ceux qui l’ont observé d’un hublot d’avion mais surtout des voyageurs qui l’ont traversé à pied ou à dos de mule. Il suffit de regarder les statistiques : seulement un petit quart (23.5%) du territoire se trouve en dessous de 200 mètres d’altitude – la plaine alluviale occidentale ainsi que les parties inférieures des vallées des rivières ; une grosse moitié s’étale entre 200 et 1.000 mètres d’altitude – moyennes et grosses collines, vallées de la partie moyenne et haute des rivières, des plaines perchées de toutes tailles, les versants bas des montagnes ; le dernier quart (27%) culmine au-dessus de 1.000 mètres –flancs des montagnes, des pentes très raides et des pics rocheux.
D’emblée, le ton et l’accord de base sont donnés : qui dit montagne et relief, dit également difficulté de communication, manque de routes, enfin isolement et fractionnement social. D’autre part, au niveau d’une société qui traditionnellement a survécu grâce à l’agriculture et à l’élevage, l’existence d’un tel terrain impose de sévères contraintes : peu de terres labourables, des parcelles à taille réduites, des sols à compositions et à structures variables dont les dispositions en pente limitent l’intervention humaine… Rien d’étonnant si l’élevage prédomine sur l’agriculture, si cette dernière s’oriente plutôt vers les cultures indigènes, si les rendements sont faibles, si l’arboriculture devient prépondérante dans la partie intérieure du pays et si les cultures potagères sont dominantes dans la plaine.. (pour lire le texte en entier - cliquer ici)
Cette plaine alluviale qui longe la côte reçoit des précipitations saisonnières ; elle demeure médiocrement drainée et, selon les saisons, elle souffre soit de la sécheresse soit par des inondations. Les terres arables qui la composent sont d’une qualité qui n’a jamais été supérieure. Malgré son accessibilité et les facilités de transport propres à une plaine, elle n’est pas pour autant aussi hospitalière qu’on puisse croire – il suffit de penser à ses innombrables étangs de jadis, à ses nuages de moustiques, au malaria…
. La qualité du sol s’améliore sensiblement en remontant les étroites vallées des rivières, telles que Drin, Mat ou encore Shkumbin. Elle est franchement meilleure dans les bassins intérieurs telle que la région des lacs d’Ohrid et de Prespë, la « plaine » alluvionnaire de Peshkopi ou le plateau de Korçë, toujours entourés des montagnes. Et pourtant, l’homme n’a jamais cessé de mettre en valeur les collines moyennement élevées, séparant la plaine littorale des massifs montagneux intérieurs. Il n’avait pas de choix d’ailleurs car, les deux tiers de la superficie agricole s’y trouve : or, si les collines basses à sols terrigènes sont largement mises sous cultures céréalières, les collines calcaires à forte pente et d’épaisseur de sol faible servent principalement à l’arboriculture. Tous ces milieux ont besoin d’une protection accrue face à l’érosion importante, d’où le recours fréquent aux terrasses (30% des terrains en pente).
D’un point de vue physico-géographique, le pays peut être découpé en quatre grandes zones (1)
- Le Nord montagneux (10% du territoire). Ce formidable amas de montagnes grises – les Alpes albanaises - principalement calcaires avec quelques filons terrigènes ou encore magmatiques, peut être considéré comme une extension des Alpes Dinariques, et plus exactement du plateau calcaire monténégrin. Beaucoup plus abruptes que le reste du plateau, elles culminent au centre avec le pic de Radohima (2.570 m) et le pic de Jezerca (2.694 m) pour ensuite s’abaisser vers la périphérie. Profondément labourées par l’activité des glaciers quaternaires, elles amassent de grandes quantités de neige et de glace en hiver qui se traduit par de grandes réserves d’eau. Ces quelques petites rivières qui les traversent, telles que Shalë ou Valbonë, transportent de grandes quantités d’eau en printemps ou été dans de vallées profondes et étroites. Par contraste avec la nudité grise des rocs, le versant occidental de ce massif est boisé et constitue le parc naturel de conifères de Theth (4.500 hectares qui se situent de 1.200 à 2.400 mètres d’altitude) dans le creux d’une ancienne glacière. Les représentants de la faune des Alpes sont les bouquetins et les chamois, l’aigle royal et le gypaète mais aussi l’ours brun et le lynx.
- Le Massif Central albanais (47% du territoire national) est constitué d’une série continue d’élévations montagneuses arrondies, mais aussi de pics et de pentes parfois abruptes, qui commencent à se lever juste en face de la mer Adriatique pour finir au-delà des frontières, au Kosovë, en Macédoine voire en Grèce. Ici prédomine la serpentine, ce silicate de magnésium contenu dans les roches métamorphiques de couleur vert sombre, alternée souvent avec le calcaire et la roche magmatique. Pratiquement toutes les richesses minérales de l’Albanie se trouvent dans ce massif montagneux : des gisements de cuivre ou de pyrite - accompagné d’un peu d’or et d’argent, de chrome, de fer et de nickel, ce dernier accompagné de cobalt. Ce massif traverse pratiquement tout le pays, il s’étend des Alpes du nord jusqu’à la frontière grecque, au sud de Korçë, se reliant avec le massif grec de Pinde. La partie la plus âpre se trouve au Nord : le massif de Mirditë, vert par son sol, vert par sa forêt épaisse – le principal réservoir des minerais de cuivre. Plus au sud, entre Drin et Mat, se trouve la région de Martanesh qui culmine à 1.873 mètres, avec Kaptina e Martaneshit. Le sol s’assombrit d’avantage – c’est le royaume du chrome et ses dérivés, avec Bulqizë – le plus gros complexe minier du pays. Au pied de cette partie du massif – de part et l’autre de la rivière Shkumbin - se trouvent les régions de Çermenikë, de Shpat et Polis, d’élévation modérée, avec quelques rares pics autour de 2.000 mètres d’altitude. Ici serpente la plus célèbre ligne séismique du pays, secoué à maintes reprises par de violentes tremblements telluriques.
Dans le haut bassin de la rivière Shkumbin, la terre devient rouge sombre : entre le mont Shebenik et la dépression de Mokër avec ses molasses sablo-argileuses - en passant par le Guri i Kuq (la Pierre Rouge) - c’est le paradis du fer et de ses minéraux, exploités à ciel ouvert. Encore plus au sud, entrecoupés par des profondes vallées creusées dans le flysch, les zones de Opar et de Gorë culminent avec les pics de Lenie (2.373 m) et de Ostrovicë (2.379 m). Ici, le massif des serpentines et des calcaires s’alterne avec de minces terrasses fluviales, qui remontent vers les plateaux gréseux de Korçë et de Devoll. A l’extrême sud de ce massif, le pic de Gramoz (2.523 m), ce haut lieu de la transhumance, protège la cuvette de Kolonjë. Le boisement du massif central demeure très important, malgré l’exploitation intensive des dernières années. Il renferme également la plupart des parcs naturels nationaux tels que celui de Lurë (4.000 hectares de 900 à 2.100 m d’altitude), de Dajt (7.000 hectares en 1994 devenus 12.000 en 1997, à 1.612 m d’altitude) ou de Bozdovec – Bredhi i Drenovës (1.400 hectares à 1.800 m d’altitude). La faune locale est représentée par l’ours brun, le lynx, le chat sauvage et le loup. A l’Est du massif central, se trouvent les montagnes les plus hautes du pays : mont Korab (2.750 mètres) et Koritnik (2.395 mètres). Le groupement des montagnes dont ces pics appartiennent, s’étend loin au Kosovë (2) et constitue le relief le plus escarpé et le plus inaccessible de toute la péninsule balkanique.
- La région montagneuse méridionale (environ 20% du territoire) est d’une construction géologique assez simple : roche calcaire voire dolomitique, entrelacé de terrigène. Le relief aussi est assez régulier, autrement dit une succession de chaînes montagneuses peu abruptes et de larges vallées fertiles. Au nord-est de Vlorë s’étend la zone peu élevée de Mallakastër, qui culmine à Shpirag à 1.200 mètres. Les deux principales chaînes montagneuses, Trebeshinë - Dhëmbel - Nemërçkë et Gribë - Mali i Gjerë - Strugarë, sont orientées de nord-ouest à sud-est, se séparant par le lit de la rivière Vjosë et de celui de Drino (Dropull). Ces montagnes constituent l’extension nord du massif grec de Zagorion, celui qui entoure la ville de Janina. Plus à l’Ouest, jouxtant la côte de la mer Ionienne, s’étend le plateau de Kurvelesh et la montagne de Çikë (2.050 m), qui s’érige en face de la mer. Le blanc de ces montagnes, façonné par les vents et la mer, a donné naissance à des nombreux crics et de petites plages caillouteuses d’une beauté incomparable, face à une mer bleue qui n’a jamais connu de pollution. La structure dolomite-karstique des roches suggère la nature des richesses minérales qu’elles renferment : les phosphates s’alternent avec les bauxites sur toute la zone de Gjirokastër jusqu’à Kurvelesh, tandis que le charbon de Memaliaj demeure le seul concurrent digne de nature fossile quant au pétrole et le gaz naturel de Mallakastër.
Dans les hauteurs de la montagne de Çikë se trouve le parc naturel de Llogara (1.000 hectares boisés de pins et de cyprès), tandis que, suivant la côte vers le nord – au partage des eaux entre l’Adriatique et la Ionienne, un nouveau parc sous-marin vient de voir le jour. La côte Ionienne s’étend de la pointe du presqu’île de Karaburun qui surplombe le golfe de Vlorë, aux hauteurs de la ville portuaire de Sarandë, tout au long d’environ quatre-vingts kilomètres. Cette petite Rivière, comme les Albanais ont l’habitude de l’appeler, alliant la haute montagne et la mer, est dans la plupart terrassée et là on cultive les olives et les agrumes, mais elle manque cruellement de bonnes routes. A l’extrême sud du pays s’étend une petite plaine fertile, allant de Delvinë à Konispol, dont une partie est occupée du lac de Butrint. Ce petit lac de 1.600 hectares, un étrange mélange d’eau douce et salée, est la région ostréicole la plus importante du pays.
- La plaine occidentale, cette bande du littoral allant de du lac de Shkodër jusqu’à la proximité de la ville de Vlorë représente un petit dernier quart du territoire national. En moyenne, elle représente une largeur d’environ vingt à trente kilomètres vers l’intérieur des terres, exceptée la région d’Elbasan au centre de l’Albanie, où elle rejoint sa largeur maximale de cinquante kilomètres. Il s’agit en effet, d’un entrelacement de plaines basses alluvionnaires et de chaînes de basses collines dont le sol marron - gris est recouvert d’une végétation typiquement méditerranéenne de maquis, composée de chênes nains, de bruyères, de myrtes et de lauriers-roses. Toutes les richesses minières de ca plaine sont de nature fossile : le charbon fossile de Krrabë, s’alterne avec le lignite de Valias, tandis que le pétrole brut de Kuçovë et de Patos, ou le gaz naturel de Ballsh laissent la place au bitume de Selenicë.
Près de la côte, seulement quelques décennies auparavant (3), cette plaine était partiellement recouverte dans toute sa longueur d’étendues d’eau douce ou salée, provenant des débordements fréquents des rivières ou des reflux de la mer. Allant de Nord au Sud, on pouvait inventorier les marécages de Velipojë – près de la frontière monténégrine, de Kakarriq - entre Shkodër et Lezhë, de Kune-Merxhani près de Shëngjin, de Patok – entre Lezhë et Laç, de Durrës, de Tërbuf ou de Myzeqe, près de Lushnjë et enfin celui de Vrinë, au sud de Sarandë. La plupart de ces marécages aujourd’hui n’existent plus, car ils ont été bonifiés et rendus exploitables du point de vue agricole (170.000 hectares ont été ainsi récupérés entre 1946 et 1976), mais l’action de l’homme, altérée par des impératifs politiques, n’a pas toujours abouti à une solution économiquement rentable et n’a pas toujours respecté l’environnement naturel. Les terres obtenues de cette façon souffrent souvent d’un taux accru de salinité, comme dans le cas des terres grises de Durrës ou d’un taux d’humidité très important, comme dans le cas des terres marron foncé, presque noires de Myzeqe. Les seules étendues existantes d’eau dans le littoral sont les étangs salés - les lagunes - de Kune-Merxhani (5.500 hectares), de Karavasta (4.300 hectares) et de Nartë (4.200 hectares dont 2.800 hectares de salins) ainsi que le marécage de Patok (environ 5.500 hectares), tous communiquant avec la mer Adriatique. Presque au bord de la mer Adriatique, à l’embouchure de la rivière Seman se trouve le parc naturel de Divjakë, constitué des pins parasols et qui sert comme habitat naturel aux diverses espèces animales comme le chacal et porc-épic, le lièvre et le faisan. Pratiquement toute la côte occidentale de l’Albanie est bordée de longues plages sablonneuses, dont les plus célèbres et les plus exploitées sont celles de Velipojë et de Shëngjin, de sable grossier noir sombre, et celles de Durrës, de Divjakë et de Vlorë, de sable clair et fin. La côte Adriatique possède aussi les ports les plus importants du pays près les villes de Durrës, de Vlorë et de Shëngjin. Plus à l’intérieur, les terres marécageuses laissent leur place à des étendues de terre de qualité moyenne, où l’argile et l’ocre jaune alternent avec les sédiments caillouteux. Seulement plus loin, où les collines basses commencent à monter vers les premières montagnes, où les précipitations deviennent plus régulières et le risque des inondations devient minime, la terre gagne en qualité. Elle devient brun clair, sûrement car plus végétale et plus riche en humus.
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(1) Voir sur le sujet : Sabri LACI – Albanie : une agriculture en transition - Potentiel Naturel et Agriculture, CIHEAM Option Méditerranées, Série B, n° 15, 1997 . (2) L’emploi du nom Kosovë au lieu de Kosovo obéit à une logique simple : celle de la population albanaise qui vit dans cette région et qui appelle ainsi sa terre. Sans vouloir s’inscrire dans une quiconque logique nationaliste, nous avons eu le soin d’éviter la version slavisée de ce nom, divulguée par feue Fédération yougoslave, qui reflète désormais une réalité dépassée par les événements.(3) Le voyageur étranger qui abordait la cote albanaise au début de notre siècle, voyait une « frange marécageuse, fiévreuse, déserte qui la séparait de la mer. Des lagunes, des salines, des roselières, des bras morts ; le paludisme y est maître, la fièvre de Boïana (lire : Buna) ; les villes s’éloignent de ces bords pestilentiels, se réfugient sur les sols plus secs, près des eaux plus pures du voisinage de la montagne ». Voir : Jacques ANCEL - Peuples et nations des Balkans, éd. de C. T. H. S, Paris, 1930 (réédition 1992).
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