Magazine Régions du monde
. Toute cette eau qui tombe du ciel va inévitablement nourrir la nappe phréatique ainsi que pour alimenter les cours d’eau et les rivières du pays, autrement dit le réseau hydrographique. Or, reflétant le climat et la structure géologique du terrain, l’hydrographie se caractérise par l’irrégularité des crues et l’instabilité de l’écoulement. Le réseau hydrographique demeure exceptionnellement riche car, non seulement la totalité des précipitations qui tombent en Albanie est drainée par les rivières locales, sans quitter le pays, mais il recueille également l’eau des régions limitrophes. Ainsi dans le Nord, seulement une ou deux menues rivières quittent le territoire national, traversant la frontière yougoslave. Également au Sud, seulement un cours d’eau insignifiant coule vers la Grèce. En revanche, puisque la ligne de partage d’eau se trouve loin à l’Est, dans les profondeurs des territoires yougoslaves et grecs, l’Albanie reçoit une masse considérable d’eau par le réseau hydrographique de ses proches voisins. Il suffit de dire que la surface totale du bassin hydrographique est de 43.300 km2 soit 1,5 fois le territoire national.
Les rivières sont relativement courtes, la plus longue de toutes étant Drin qui s’étale sur 258 kilomètres. En revanche, la densité moyenne du réseau hydrographique est assez élevée : 1,4 km/km2. Les valeurs les plus importantes proviennent des zones qui allient une haute valeur de l’imperméabilité des sols (roches magmatiques, flyschs et molasses argileuses), des pentes importantes du relief et de grandes intensités de précipitations. Ainsi, le bassin de Mat arrive en tête avec 3,4 km/km2, suivi de Seman (2,5 km/km2) et d’Erzen (2,1 km/km2). Dans l’autre coté de l’échelle se trouve Drin, sûrement à cause de son passage au milieu des roches calcaires de Dukagjin et des Alpes qui favorisent les infiltrations et la migration d’eau vers les nappes souterraines.
Le fait que les précipitations touchent principalement la partie élevée du relief et leur irrégularité saisonnière marquent la caractéristique de presque tous les cours d’eau du pays et limitent leur valeur économique (1). Les rivières provoquent l’érosion du terrain montagneux à des échelles cent fois supérieures par rapport à la moyenne européenne et elles transportent une masse considérable de sédiments qui se dépose dans les plaines côtières, contribuant à leur extension. Durant l’été, quand la sécheresse se sent et l’irrigation de la terre devient nécessaire, les rivières manquent d’eau et elles deviennent de simples cours d’eau. Toutefois, un gros orage d’été suffit pour qu’elles deviennent violentes et incontrôlables.
. Aucune des rivières n'est navigable, la seule exception étant Bunë. Cette rivière toute particulière, d’une longueur seulement de 40 kilomètres, relit le lac de Shkodër à la mer Adriatique, permettant la navigation des petites embarcations. Par rapport à l’immuabilité de leur cours d’eau durant la traversée des massifs montagneux, les rivières albanaises changent constamment leurs cours traversant les plaines côtières, gaspillant plus de terre fertile qu’elles créent.
À l’exception de Drini i Zi, qui coule vers le Nord, traversant presque toute la partie orientale du pays avant de tourner vers l’ouest et de se verser à l’Adriatique, la totalité des rivières et des cours d’eau dans la partie nord et est du pays courent joyeusement vers l’ouest. Le passage vers la mer se fait à travers les massifs montagneux, creusant des vallées profondes au lieu de les contourner. Ce phénomène, géologiquement impossible en apparence, provient du fait que les plateaux intérieurs à l’origine étaient assez élevés et presque plats et que les cours d’eau se sont créés presque en même temps (2). La compression, le pliage et, enfin, l’abaissement des plateaux est advenu plus tard. Ce processus géologique dans la plupart des cas était assez rapide pour obstruer l’écoulement des cours d’eau durant une période, favorisant la création de lacs intérieurs. Ces lacs ont existé jusqu’à ce que les lits primitifs des cours d’eau soient devenus importants pour pouvoir drainer l’eau vers la mer et que la masse de sédiment transporté vers ces lacs ait eu le temps de les colmater. Apparemment, le pliage du relief des plateaux n’a pas été si violent pour pouvoir obliger les cours d’eau de changer radicalement la direction vers d’autres issues. L’existence des bassins intérieurs, tels que celui de Korçë, de Përrenjës ou de Peshkopi, meublés de terre fertile, est un phénomène typique du relief albanais. Aux endroits où l’abaissement du terrain était déjà très important, les lacs ont perduré jusqu’à nos jours tels que celui d’Ohrid ou celui de Prespë. (pour lire le texte en entier - cliquer ici)
. Les trois lacs orientaux de l’Albanie, le lac Ohrid, le lac Prespë e Madhe (Grande Prespa) et Prespë e vogël (Petite Prespa), se trouvent dans une région frontalière, assez élevée – entre 700 et 850 mètres du niveau de la mer - mais très pittoresque. Le terrain environnant est plat et fertile, créant de conditions de vie très agréables – bien meilleures que d’autres parties du pays, pourtant beaucoup plus denses. Aucun de ses lacs n’appartient entièrement à l’Albanie : Le lac Ohrid (36.800 ha) est départagé entre l’Albanie, qui possède environ un tiers (9.700 ha) et l’ancienne république yougoslave de Macédoine qui détient les autres deux-tiers. Le lac Prespë e Madhe (28.500 ha d’une profondeur de 36 mètres ) est départagé entre l’Albanie (10.000 ha), la Macédoine et la Grèce et, enfin, 800 hectares de Prespë e Vogël, sur un total de 4.800 ha, se trouvent en Albanie, le reste revenant à la Grèce. L’ensemble des lacs Ohrid et Prespë représente le système écologique le plus intéressant et le plus important du pays. Leur nature tectonique qui engendre une profondeur de plus de 290 mètres pour le lac Ohrid, leur système souterrain de communication, la qualité exceptionnelle de l’eau sans cesse renouvelée, leur faune et leur flore remarquable, réunissant le pélican blanc et la grue cendrée, la grande et la petite truite du lac (korani et belushka), la grande perche et la carpe, l’éponge ronde et l’écrevisse verte déterminent le caractère unique de cet ensemble hydrique dans les Balkans et en Europe.
Le plus grand lac du pays est sans doute celui de Shkodër. D’origine fluviale et alimenté en continu par les rivières Kir et Moraça et partiellement par Drin, il ne dépasse pas les 10 mètres de profondeur en moyenne. Les fortes variations saisonnières de niveau font que la surface de cette large étendue d’eau dont seulement 40% (14.900 hectares) appartient à l’Albanie, varie de simple au double, passant de 36.800 ha en plein été à 54.000 ha en printemps. Parmi les espèces animales les plus répandues, notons la carpe, la grande alose et l’anguille, le grèbe ou encore le cormoran nain.
. A plusieurs titres, Drin mérite la première place parmi l’ensemble des rivières du pays. Son principal affluent, Drini i Zi (5.885 km2 de bassin versant) prend source au lac d’Ohrid et, après une course de quarante kilomètres sur le territoire macédonien, traverse la frontière albanaise pour effectuer une bonne centaine de kilomètres de chemin et pour déverser ses 118 m3/s dans le lac de Fierzë. Ce lac, crée pour les besoins énergétiques, retient également les eaux de l’autre affluent Drini i Bardhë - le Beli Drin des Serbes qui prend sa source dans les montagnes de Zhlebit, à Sandjak. Après avoir couru environ 140 kilomètres en territoire monténégrin et du Kosovë et retenu plusieurs affluents mineurs sur 5.000 km2 de bassin, le Drin Blanc entre en Albanie avec ses 68 m3/s. La suite est tout aussi passionnante : quittant le lac de Fierzë (3) qui a inondé une bonne partie de l’ancien cours de la rivière, Drin tout court parcourt encore une petite cinquantaine de kilomètres et se déverse sur le second lac de Koman, un autre énorme réservoir d’eau pour les besoins énergétiques, et dès qu’il sort des turbines de Koman, il tombe sur un troisième réservoir, celui de Vau i Dejës. En quittant enfin ce troisième lac et dernier lac, Drin s’approche de la ville de Shkodër où il se métamorphose : la plus grande partie de ses eaux part pour rejoindre une autre rivière, Buna, qui quitte le lac de Shkodër pour se déverser dans l’Adriatique. Le reste, quelques dizaines de mètres cubes, suit son ancien lit qui serpente près de Lezhë et qui rejoint enfin la mer, à coté du port de Shëngjin. Au total, cela fait un bassin versant de 19.600 km2 et un débit de 680 m3/s, dont 320 pour la rivière Buna. Ce débit est le fruit d’un régime nivo-pluvial, avec deux maximums : le premier en décembre – correspondant au maximum des précipitations pluviales, et le second en printemps, en mars – correspondant à la fonte des neiges.
. Son unique « concurrent » plus au moins digne dans la partie septentrionale du pays est la rivière Mat. Elle prend sa source dans le massif enneigé du Martanesh et se faufile dans d’innombrables gorges étroites, avant de ramasser les eaux d’un bassin de 2.500 km2 et de se déverser dans le lac artificiel d’Ulzë, pour produire de l’énergie électrique. Dès lors qu’elle quitte ce lac, Mati reçoit son principal affluent Fani (le Grand et le Petit Fani – 1.100 km2 de bassin) qui descend des montagnes de Mirditë et rejoint la plaine occidentale, avant de finir sa course en Adriatique. Enfin, Mat possède un débit moyen annuel de 103 m3/s qui se réduit à son dixième durant le mois d’août, et d’une longueur de 144 km (4).
Le pays est presque coupé en deux par la rivière Shkumbin qui prend sa source dans les montagnes de Mokër. D’un bassin hydrique de 2.500 km2, elle passe d’à coté de Librazhd et d’Elbasan puis, détournant par le sud la ville de Rrogozhinë, et finit sa course de 180 kilomètres dans l’Adriatique où elle ramène en moyenne 60 m3/s.
Plus au Sud, une autre importante rivière, le Seman, coule sur la plaine de Myzeqe. Elle naît en effet près de Kuçovë, après la jonction des deux affluents : le Osum qui descend des profondeurs de Skrapar - après avoir parcouru 161 km et après avoir cumulé ses 32 m3/s dans son bassin de 2073 km2, et de Devoll qui vient de plus loin encore – des montagnes de Moravë, à l’est de Korçë. Après une course de 196 kilomètres dans les gorges de Gramsh et de Sulovë, ce dernier apporte ses 50 m3/s à son successeur de Seman qui durant l’été devient l’ombre de lui-même car il perd quinze fois son débit de mars.
. Le dernier représentant de la famille est la rivière Vjosë, la deuxième du pays par ses caractéristiques. Elle vient de très loin, plus exactement du massif de Zagorion qui se trouve en Grèce. Là-bas, le fleuve ramasse les eaux d’un large bassin de 2.400 km2 et traverse la frontière albanaise près de Leskovik. D’une longueur totale de 272 km et d’un bassin total de 6.360 km2, il recueille plusieurs affluents comme le Drino de Gjirokastër ou encore la Shushicë, descendant les montagnes de Kurvelesh. Sa course tranquille finit dans l’Adriatique, à quelques kilomètres au nord de Vlorë où il apporte en moyenne ses 195 m3/s.
Toutes ces rivières, sans exception, sont de très gros transporteurs des sédiments qui les charrient à la mer, contribuant ainsi à l’agrandissement de la plaine occidentale dont ils sont les principaux dépositaires.
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(1) Pour le géographe, les rivières balkaniques font partie de ces obstacles que la nature a dressé pour éprouver le génie humain : « Que tirer de ces torrents fous ou gueux, avec les eaux furibondes, cailloux, graviers et sables, ou rétrécis en un mince filet paresseux entre les galets arrondis ? ». Voir : Jacques ANCEL – ibid. cité.
(2) Voir : Raymond ZICKEL & Walter R.. IWASKIW (ed.) - Albania: A Country Study, Washington, DC: Library of Congress, Federal Research Division. 1994.
(3) Le lac artificiel de Fierzë est retenu par une digue de 170 mètres de haut. Il fait une surface de 72.500 hectares et contient 2.7 km3 d’eau.
(4) Deux autres rivières de moindre importance partagent l’espace centrale du pays jusqu’aux abords de Tiranë : Ishmi et Erzen. D’un bassin commun de 1.450 km2, ils prennent source dans le massif qui surplombe les villes de Tiranë et de Krujë et serpentent sur la plaine occidentale durant quelques dizaines de kilomètres avant de finir comme tous les autres en Adriatique, où ils ramènent un débit moyen annuel de 21 m3/s.
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