La plus longue intervention à l’étranger qui a duré une vingtaine d’années prend ainsi fin dans des conditions d’un enlisement peu glorieux avec des attentats meurtriers à la clé...
Cette guerre commencée en 2001 au lendemain des attentats du 11 septembre 2001 pour renverser les Talibans alors au pouvoir à Kaboul et réduire leurs protégés d’El Qaïda se conclut aujourd’hui par un échec cinglant puisque les Talibans sont de retour.
L’Otan, bien vite adoubée par l’ONU et renforcée de quelques pays alliés, aura été le vecteur d’une intervention hors de l’espace euro-atlantique, dans l’esprit des nouvelles orientations définies lors de son Sommet du cinquantenaire de 1999. C’est cette prétention à jouer le rôle de gendarme du monde qui s’effondre aujourd’hui.
En réalité, cette issue était attendue depuis déjà dix ans puisque Barack Obama avait décidé, après dix ans de guerre, d’un retrait non-négocié des troupes engagées sur place. À partir de 2011 les Talibans savent que les Américains vont partir. Ils n’ont plus qu’à attendre et à assister à l’échec des efforts d’une construction d’un État « moderne et démocratique » par les intervenants extérieurs. Car le modèle subliminal des Occidentaux renvoie à la Seconde guerre mondiale quand il s’est agi de reconstruire l’Allemagne après son effondrement. Mais l’Afghanistan n’est pas l’Allemagne et les islamistes radicaux qui n’ont jamais été mis en déroute, se sont reconstitués en prenant appui sur le Pakistan voisin.
Cette guerre a eu un coût énorme, pour l’Afghanistan d’abord qui connaît là sa deuxième guerre, après celle contre les soviétiques de 1979 à 1989. Puis la guerre civile a vu les Talibans l’emporter sur les « Seigneurs de guerre » et imposer leur chape de plomb sur le pays. Bref un pays en guerre depuis quarante ans.
Après avoir humilié Moscou puis dopé l’islamisme radical en envoyant ses « Afghans internationalistes » sur différents terrains de luttes, ce petit pays a infligé une défaite militaire à la coalition de l’Otan et aura également contribué à façonner les traits majeurs du xxie siècle.
La population civile a terriblement souffert. Plus de 100 000 morts selon les Nations unies, des milliers de bombes déversées, une société plus corrompue que jamais, une culture et un trafic de drogue florissant alimentant 80 % du marché mondial d’opium, sans compter les morts indirects de pauvreté et maladies causées par le conflit.
Le coût a été énorme également pour les États-Unis puisqu’on estime les pertes à près de 3 000 soldats auxquels il convient de rajouter environ 4 000 « contractors » (mercenaires des sociétés militaires privées), 20 000 blessés graves et des pertes évaluées à 60 000 soldats dans les rangs gouvernementaux.
La dépense engendrée se monte à près de 3 000 milliards de dollars en ajoutant opérations guerrières, entraînement et aide économique souvent détournée.
Cette guerre, dont l’enjeu international dépassait largement le territoire afghan, n’a jamais été populaire aux États-Unis, sauf dans l’immédiat de l'après-11 septembre. Mais pourtant, elle n’a pas suscité de fortes mobilisations internationales qui pourraient rappeler l’ampleur des grandes campagnes contre les guerres d’Algérie, du Vietnam ou plus récemment contre l’invasion de l’Irak, sans évoquer les solidarités aux causes emblématiques du peuple palestinien ou des luttes anti-apartheid en Afrique du Sud.
Ce qui a manqué, au- delà des traits détestables du régime de Kaboul, c’est l’existence de forces politiques et sociales avec lesquelles un partage de valeurs puisse se construire. Les Américains ont refusé - confortés par beaucoup de Think tanks sans grande légitimité - de voir la progression des Talibans forts de quelques dizaines de milliers d’hommes, de leur structuration en parti politique national, de l’appui apporté par le Pakistan pays allié des États-Unis et d’imaginer qu’il pouvait y avoir chez ce peuple une attente d’État à même de satisfaire les besoins les plus essentiels, en termes de santé, d’éducation, de logement, de sécurité…
Faute de s’atteler à la construction d’un tel État, le gouvernement en place a été court-circuité par des organismes internationaux donateurs d’aide étrangère sans connaissance du terrain et animés par des logiques bureaucratiques à mille lieues des réalités. Des bataillons d’anthropologues envoyés en reconnaissance auraient été plus utiles que des images satellites ou des drones préparant le travail des forces spéciales.
Car ce qui a manqué le plus à la coalition c’est la connaissance du tissu local social dont l’absence est le talon d’Achille des interventions militaires en terre étrangère. Ce terrain social a totalement été méconnu par les militaires, ainsi que les liens familiaux, religieux, économiques entretenus entre les différentes populations et entre celles-ci et les Talibans.
Les troupes coalisées ont combattu un ennemi dont elles ne connaissaient pas les modes de fonctionnement mais qui possédait l’avantage de la maîtrise du terrain et avait su de longue date infiltrer les institutions du pays.
Après 20 ans d’une coalition de l’Otan, les résultats sont décevants. La corruption s’est généralisée empêchant la reconstruction d’un État contourné par l’aide internationale, les ONG, et les différents opérateurs du développement.
Mais surtout les conditions du départ ont été menées de façon maladroite à l’initiative de Donald Trump, puis par Joe Biden, par contact direct avec les Talibans, en passant par-dessus la tête du gouvernement afghan, considéré comme partie mineure. Le seul souci des États-Unis étant qu’un régime sous la férule des Talibans ne redevienne pas un sanctuaire pour des groupes terroristes. Les Talibans n’ont plus rien à négocier avec personne, le départ des troupes étrangères étant déjà acquis.
La grande base militaire de Kandahar, construite par les Soviétiques et située dans le sud du pays dans une zone à forte présence talibane, a été évacuée en catimini sans concertation avec l’armée afghane, et ne laissant en service que la base de Bagram près de Kaboul comme tête de pont. La Maison Blanche annonce que l’armée américaine possède la capacité en ouvrant de nouvelles bases militaires dans des pays frontaliers - en Ouzbékistan et au Tadjikistan - de disposer de moyens de surveillance, voire d’intervention, pour empêcher tout retour en force d’Al-Qaida dans cette région.
Même intention annoncée par Emmanuel Macron à propos de l’opération Barkhane. Faute de pouvoir rester sur le terrain, on déplace quelques moyens engagés en prétendant avoir la maîtrise de la suite des événements.
Cette guerre afghane dépasse par sa portée le territoire de ce petit pays. Elle est emblématique des conflits asymétriques qui ont surgi à travers le monde et qui se transforment en guerre sans fin, dont les objectifs s’érodent en cours de route.
Elle confirme qu’on ne peut imposer la démocratie ou les droits de l’homme souvent mobilisés par la force ou par décrets. Le drame de l’Afghanistan devrait également nous faire davantage réfléchir à ce qu’il convient de faire au Sahel...
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