La bête

Par Belzaran

Titre : La bête
Scénariste : Zidrou
Dessinateur : Frank Pé
Parution : Octobre 2020


En bande-dessinée, le marché est dominé par les nostalgiques. Ce sont les nouveaux albums de séries antédiluviennes qui cartonnent. Après les déclinaisons de Spirou, les Lucky Luke « à la façon de… » et autres Blake et Mortimer, voilà un Marsupilami signé Frank Pé et Zidrou qui sort des sentiers battus. Justement titré « La Bête », cet ouvrage a pour ligne directrice de traiter le sympathique animal comme ce qu’il est censé être à l’origine : un bête sauvage. Le tout pèse 150 pages et est publié chez Dupuis.

Un ouvrage nostalgique et misérabiliste

Ceux qui voudront de la nostalgie en auront pour leur argent. Ou pas ? Car si l’animal est bien présent, il n’a aucune caractéristique qui en faisait un personnage mémorable. La queue n’est (presque) qu’accessoire et, surtout, c’est une bête traquée et sauvage. Le marsupilami a toujours été violent et agressif, mais il est aussi facétieux. Ainsi, la grande partie nostalgique tient du choix du contexte (Belgique, années 50) et de différents visages connus qui apparaissent dans l’ouvrage.

François vit une existence difficile en Belgique. Fils d’allemand, dans les années 50, ce n’est pas facile tous les jours à l’école. Son dada est de recueillir des bêtes blessées et estropiées dans la rue pour les faire vivre chez lui avec sa mère. Pauvre, celle-ci désespère de cette manie. Alors quand il ramène un singe jaune bien plus sauvage que les autres, elle ne sait trop que faire.

« La bête » est un mélo misérabiliste construit sur François plus que sur le marsupilami. Ce dernier sert avant tout de déclencheur. Tout au long des 150 pages, on peine à réellement s’intéresser car il ne se passe pas grand-chose. Le fait que l’on sache ce qu’est le marsupilami casse une bonne partie des discussions sur le sujet où tout le monde se demande ce qu’est cet animal (sur le bateau, à la maison, en classe, avec la police, etc.). C’est surtout ce côté misérabiliste plein de bons sentiments qui est lourd. L’instituteur tellement gentil et compréhensif, le directeur tellement méchant et sans cœur… Cela est en contradiction avec la dureté réaliste du propos. On dirait que les auteurs ne sont pas arrivés à trouver réellement le ton du bouquin.

Après 150 pages, on est surpris de voir que l’on a assisté uniquement à l’introduction. En effet, l’histoire semble réellement lancée une fois le livre fini. Sauf que le livre est vendu comme un one-shot. La seule mention que c’est un premier tome d’une série est inséré discrètement (caché serait un terme plus juste) dans le « A » du titre en couverture. Rien sur la tranche, rien à l’intérieur. On est à la limite de la malhonnêteté. Surtout qu’avec une telle pagination, l’ouvrage ressemble vraiment à un one-shot et pas un tome de série. Ce genre de manœuvre est écœurant.

Concernant le dessin, Frank Pé développe son style particulier et plutôt réussi. En soit, c’est adapté, entre réalisme et exagération selon les moments. Les couleurs créent vraiment cette atmosphère sombre et passée voulue par les auteurs en misant beaucoup sur le gris et le jaune. L’album a une identité visuelle marquée. Certaines pages, notamment les décors, sont simplement splendides.

« La bête » souffre, comme beaucoup d’albums en son genre, de son carcan. Voilà un livre qui aurait sans doute été plus percutant avec une autre bête justement, afin que le suspense sur sa révélation ait du sens. Quand je lis ce genre d’ouvrages nostalgiques, je me désespère que des auteurs aussi talentueux perdent du temps avec ça (même si on imagine bien qu’ils n’y perdent pas d’argent).