Les lecteurs de la dernière newsletter ont put voir une nouvelle région de production s'ajouter sur Thés du Japon. C'est en effet la première fois que je propose un thé de Murakami. Depuis l'ouverture de la boutique physique à Tokyo il y a trois ans, mon intérêt pour les thés du nord, j'entends les thés en provenance de régions au nord par rapport à Tokyo a beaucoup augmenté. D'abord naturellement pour Sayama (département de Saitama) et Sashima (département de Ibaraki) parce qu'il me semblait essentiel de mettre en lumière ces régions si proches de Tokyo, et pourtant très largement ignorées (surtout dans le cas de Sashima), alors qu'elles sont dynamiques et créatives. Il arrive de temps à autre que des visiteurs à la boutique nous demandent si nous avons, ou comptions proposer un jour, des thés de régions plus septentrionales, comme Okukuji dans le nord de Ibaraki (j'en reparlerai), ou bien Murakami. Mon regard a enfin fini par se tourner vers Murakami, qui était déjà dans un coin de mon esprit depuis pas mal de temps à vrai dire.
Murakami est une petite ville côtière de la mer du Japon, située dans le département de Niigata. Si pour la plupart des gourmets l’évocation de Niigata évoque immédiatement le riz de la variété koshi-hikari, pour les amateurs de thé Murakami est synonyme de région de production à but commercial de thé la plus septentrionale du Japon.
La culture du thé y remonterait aux années 1620, lorsqu’un fonctionnaire du fief de Murakami, Tokumitsu Yakakuzaemon, aurait (dans ce genre d'"histoire" gardons toujours en tête que le conditionnel est de mise) ramené des graines de thé à l’occasion du pèlerinage d’Ise, voyant comme cette culture était prospère (une autre explication rapporte que ce serait le seigneur de Murakami lui-même, Hori Naoyori, qui aurait fait venir des graines de Uji). Cette culture se serait alors développée rapidement sous les encouragements du gouvernement local.
Ce n’est qu’à partir de 1859, relativement tardivement donc, que fut introduite la méthode dite de Uji, base du sencha moderne. (il s'agirait donc de la méthode de fabrication mise au point en 1738 par Nagatani Sôen, mais qui commence à se rependre plus largement au début du 19ème siècle, mais comprenons bien que la méthode manuelle puis mécanique qui la reproduit du sencha moderne est une version largement complexifiée de la méthode de Sôen developpée à partir de la deuxième moitié du 19ème à Shizuoka)
Durant l’ère Meiji, le thé de Murakami connu sa période la plus faste, avec 600 ha de plantations, le thé japonais étant alors un important produit d’exportation. A partir de la première guerre mondiale, le thé de Murakami n’a fait que péricliter, et il ne reste aujourd’hui que 25 ha de plantations. Néanmoins, cette culture semble reprendre du poil de la bête. Les cultivars y sont encore relativement peu répandus, mais cette situation change, avec une volonté d’amélioration de la qualité et de la diversité.
En dépit de sa position septentrionale, Murakami enregistre une température annuelle moyenne de 12℃, tout juste au-dessus du minimum estimé pour la culture du thé. En bord de mer, même en pleine hiver, la température ne descend pas trop souvent en dessous du zéro, de plus, les chutes de neige venant recouvrir les théiers les protègent alors des trop grands froids. C’est en raison de ces chutes de neige, que les théiers sont taillés très bas à Murakami, pour empêcher les branches de rompre sous le poids de la neige.
Du printemps à l’automne, l’ensoleillement est relativement restreint et les brumes fréquentes, l’air chargé en humidité.
Autant de conditions propices à la culture d’un thé de qualité, doux et peu astringent. On juge souvent le thé de Murakami comme très rond et sucré.
On comprend aisément qu'il s'agit d'une toute petite zone de production, sans grossistes importants, et où nous avons seulement trois producteurs de thé. Ceux-ci vendent alors eux-même dans leur boutique des thés. Il y a encore quelques années, ils pouvait aussi faire des blends avec du thé d'autres régions. Je ne sais pas si cela continue, mais certains peuvent vendre du matcha en boutique, celui-ci provient évidemment de Uji (il n'y a pas d'arnaque, personne ne cherche à la faire passer pour du matcha de Murakami). C'est une intéressante manière de cumuler la fonction de producteur de thé mais aussi de marchand de thé.
C'est un sencha fidèle à Yabukita, particulièrement fort. Umami et astringence sont tous deux présents, attention à ne pas laisser infuser trop longtemps, ainsi qu'à la température. Avec du Yabu et une torréfaction forte, les arômes que l'on ressent tout de suite de manière claire sont dans le domaine du bois sec et des fruits à coque, alors qu'en arrière-plan on trouve aussi des notes vanillées. Les arômes évoluent tantôt vers le floral, tantôt vers le fruité sur les deuxième et troisième infusions.
Robuste, ce sencha est aussi riche et profond, dense je dirais. Bien que je n'arrive pas à trouver les mots, il ne manque pas non plus d'originalité malgré son apparent classicisme, marqué probablement par son terroir particulier.