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Yoko Ono sur Hiroshima : l’histoire secrète de sa chanson « Hiroshima Sky Is Always Blue »

Publié le 27 août 2021 par John Lenmac @yellowsubnet

Plus de 40 ans après la mort de John Lennon, Yoko Ono a maintenant 88 ans. Bien qu'elle ait réduit ses apparitions publiques ces dernières années, l'utilisation de Imagine lors de la cérémonie d'ouverture des Jeux olympiques de Tokyo a rappelé au monde entier le pouvoir de la collaboration du couple mythique envers la paix. On sait beaucoup moins de choses en revanche sur la chanson inédite de Yoko Ono intitulée Hiroshima Sky Is Always Blue.

La pièce HIROSHIMA, la guerre et " le ciel bleu "
Le seul enregistrement officiel de Hiroshima Sky Is Always Blue est sorti en 2011 sous forme d'un CD qui accompagnait le catalogue de l'exposition solo de Yoko Ono " Road of Hope " au Musée d'art contemporain de la ville de Hiroshima. L'exposition était organisée pour commémorer le Prix Hiroshima à Yoko Ono, une récompense décernée par cette ville pour des artistes ayant contribué à la paix dans le monde.

Après un solennel son de cloches, on entend Yoko déclarer : " John, nous sommes ici, maintenant ensemble. Que Dieu te bénisse, Paix sur terre, Strawberry Fields pour toujours. " Puis, sur fond musical de world music d'avant-garde, elle répète : " Le ciel est bleu à Hiroshima. " Entre les refrains, un couplet crié par une voix que l'on suppose être celle de Paul McCartney. Quelle est la signification de ce monologue ?

Le CD qui accompagne le catalogue de l'exposition solo de Yoko Ono " Road of Hope ", produit par le musée d'art contemporain de la ville de Hiroshima.

La chanson fut originellement produite pour la pièce HIROSHIMA, qui fut jouée off-Broadway à New York à l'automne 1997. Le scénario du dramaturge américain Ron Destro, écrit en 1994, dépeint la vie des habitants de Hiroshima autour du 6 août 1945, le jour où la bombe fut larguée sur la ville. Il avait demandé à Yoko de composer une chanson pour la pièce qui devait être donnée en 1995, à l'occasion du cinquantenaire de la fin de la guerre. L'un des personnages de la pièce est Sadako, construit sur le modèle de Sasaki Sadako, qui avait deux ans lorsqu'elle a été irradiée, qui a développé une leucémie dix ans plus tard et a passé huit mois dans un hôpital où elle s'est battue contre la maladie en pliant des grues à la manière de l'origami.

Ron Destro, qui a fait de longs séjours au Japon, a reconnu avoir été inspiré pour écrire sa pièce par Hiroshima, le reportage de John Hersey, le journaliste américain qui a recueilli des témoignages de première main lors des tous premiers jours qui suivirent l'explosion de la bombe, ainsi que par Les Enfants de la bombe-A : Le testament des garçons et des filles de Hiroshima, récits de jeunes garçons et filles qui ont vécu la bombe, compilés par le pédagogue Osada Arata. Sa pièce intègre également des traits essentiels de la culture japonaise, comme l'esprit du bushidô et le haïku. " J'ai écrit cette pièce pour que les innombrables morts irradiés de la bombe prennent vie de façon plus réaliste que dans les statistiques ", a-t-il déclaré.

)^pDans une interview parue dans le numéro de septembre 1995 de Bungei Shunjû, Yoko a raconté divers épisodes entourant la production de la pièce. " J'ai été surprise qu'un auteur américain soit capable de parler de la tragédie du bombardement atomique du point de vue japonais avec autant de justesse. Il dépeint avec une grande acuité l'expérience et la souffrance des habitants de Hiroshima. " " Je suis entrée en studio avec plein de choses en tête. Et instantanément, l'image de Hiroshima Sky is Always Blue m'est apparue. "

Une scène de la pièce HIROSHIMA (© Jonathan Slaff)

L'arrière-grand-père maternel de Yoko était Yasuda Zenjirô, le fondateur du zaibatsu financier Yasuda. Son grand-père paternel était Ono Eijirô, qui a été président de la Banque industrielle du Japon. Issue d'une famille prestigieuse, Yoko s'est installée aux États-Unis dans son enfance avec son père banquier, mais elle est rentrée au Japon lorsque la situation de guerre s'est aggravée. Elle a également connu la difficile situation d'être évacuée sans nourriture. Malgré tout, le ciel était bleu, même au-dessus des ruines calcinées de Tokyo, où elle est revenue après la guerre. C'est alors qu'elle a lu dans le journal l'information à propos du bombardement atomique. " Lorsque j'ai pensé à la ville renaissante de Hiroshima, j'ai intuitivement pensé au ciel bleu qui avait brillé si fort dans mon cœur. "

Yukawa Reiko, une critique musicale de la même génération et une amie proche de Yoko, considère que sa chanson Blue Sky est liée aux horreurs de la guerre. " Lorsque j'ai été évacuée vers la ville de Yonezawa, dans la préfecture de Yamagata, j'ai regardé avec horreur les B-29 qui passaient, et le ciel bleu en arrière-plan. Je suis sûre que les souvenirs de Yoko sont les mêmes. "

Les Beatles et Londres, New York et Hiroshima

En raison de difficultés financières, la pièce HIROSHIMA n'a pas pu être présenté en 1995, année du 50e anniversaire de la fin de la Seconde Guerre mondiale, mais a été joué off-Broadway pendant six semaines en octobre-novembre 1997. Des extraits de Hiroshima Sky Is Always Blue et d'autres chansons de Yoko ont été cités sur l'album Rising de 1995. Le spectacle a reçu des critiques généralement positives : la revue The Village Voice l'a classé parmi les 20 meilleures pièces de la saison, et le Kennedy Center for the Performing Arts l'a désigné comme l'un des trois lauréats du New American Award pour 1997.

En fait, avant même la première de la pièce, la chanson Hiroshima Sky Is Always Blue s'est retrouvée au centre d'un événement extraordinaire.

En janvier 1995, Paul McCartney, George Harrison, Yoko et Sean Lennon étaient réunis à Londres pour discuter des difficultés d'Apple, la société que les Beatles avaient fondée dans les années 1960. Plus tard la même année, Yoko et Sean étaient les invités de Paul dans sa maison de vacances près de Londres. À l'époque, un " projet d'anthologie " des œuvres collectives des Beatles était en discussion, dans un vrai climat d'amitié. Le lendemain matin, après une nuit passée sur place, Paul et Yoko eurent une séance d'enregistrement dans un studio privé. Yoko a suggéré qu'ils jouent Hiroshima Sky Is Always Blue pour marquer le 50e anniversaire de la fin de la Seconde Guerre mondiale, et qu'ils devraient inclure tous les enfants dans la performance (d'après une interview avec la revue Bungei Shunjû).

Paul a dirigé le tout de sa guitare basse. Sa femme Linda jouait de l'orgue, ses quatre enfants - son fils James à la guitare, et ses trois filles Heather, Mary et Stella (qui débutait comme designer à l'époque) aux percussions. Inspiré par les cloches sur les chansons de John Mother et Starting Over, Paul a confié à Sean le clavecin et les cloches dont John avait joué sur Julia dans le White Album (1968).

Juste avant le début de l'enregistrement, Paul a trouvé la partition de Strawberry Fields Forever dans un coin du studio. Cette partition n'avait aucune raison de se trouver là, et pourtant, elle était là. Yoko dit : " J'ai eu l'impression que John était là avec nous. C'est ce qui a conduit au monologue du début du morceau. " Sean a ajouté plus tard : " Ça a été le résultat de la réconciliation après plus de vingt ans de conflit [au sujet de la séparation des Beatles]. C'était génial de travailler avec Paul. C'était génial de faire de la musique avec ceux avec qui nous n'avions jamais joué auparavant. " (D'après The Beatles Off The Record 2, de Keith Badman). Une partie de ces enregistrements a été diffusée aux actualités de la NHK le 6 août de la même année.


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