Lucian Blaga – Montagnes, donnez-moi un corps

Par Stéphane Chabrières @schabrieres

Pauvre corps éphémère,
je n’ai que toi et pourtant
Je ne pare pas ton front ni tes cheveux de fleurs blanches et rouges
car ta maigre argile
est trop petite pour l’âme immense
qui est en moi.

Donnez-moi un corps,
montagnes,
mers,
donnez-moi un autre corps, que j’y décharge ma folie
tout mon soûl !
Terre vaste, sois mon corps,
sois la poitrine de ce coeur impétueux,
sois le foyer des orages qui m’étouffent,
sois l’amphore de ce moi obstiné !

A travers le cosmos
résonnerait alors mon pas fier,
je me révélerais libre et conquérant,
tel qu’en moi-même,
terre sacrée.

Dans l’amour,
j’étendrais vers le ciel toutes les mers
comme des bras robustes, sauvages, ardents,
pour saisir le ciel
pour l’étreindre
à bras-le-corps
et baiser ses étoiles éclatantes.

Dans la haine,
j’écraserais sous mes pieds de pierre
de pitoyables soleils
en voyage
et j’en sourirais peut-être.

Mais je n’ai rien que toi, pauvre corps éphémère.

***

Lucian Blaga (1895-1961)Les pas du prophète – PO&sie N°72 (1995) – Traduit du roumain par Serge Fauchereau.