"Il y a bien une question du sens : mais elle est devant nous, à venir et à penser" (1) Une fois encore, Jean-Luc Nancy tient cette seule ligne de crête : il cherche ce qui le cherche, attend ce qui l’attend (l’inattendu d’abord) tout en sachant parfaitement ce qu’il veut : une vérité excessive du sens, un sens à naître, un sens censé excéder le sens et s’accorder non sans raison à cet excès . Le risque est là dans cette passion de l’épuisement du sens, de l’é-puisement où c’est le sens qui finalement l’emporte. D’où cette nécessité de mêler prudence et imprudence, la pertinence et bien des formes d’impertinence, la discipline philosophique et son indiscipline mais en se situant toujours du côté de l’humain ; d’où cette façon encore de recreuser de l'intérieur les questions essentielles, peser sur les limites, toucher à l'absolu (donné sans l'être, pense-t-il, retrouvant là - qui sait? - un reste de chrétienté…). On se gardera cependant d’oublier l’homme derrière l’engagement du penseur. Jean-Luc Nancy tient à sa propre histoire. Quand il exprime la volonté farouche de ‘transformer le monde’ - de le remettre au monde - on sent l’élan des premiers jours, toute l’énergie puisée dans l’ombre d’une autre foi… On retiendra d’abord une implacable leçon de vie dans son désir intact de repartir de rien, dans cet art de choisir de n’être que pour mieux être, mieux qu’être. On admirera alors cette insistance toute insurrectionnelle à vivre l’aventure, à vivre tout simplement avec son autre cœur, non sans philosophie. En tutoyant l’abyme…
Didier Cahen
[1] Jean-Luc Nancy, "L'oubli de la philosophie", Paris, 1986
Photo Jean-Luc Nancy au Salon du livre de Paris en mars 2010. source