Si en France on ne se pose pas la question, nos amis Helvètes ne sont pas du même avis. La grave crise diplomatique qui se semble se dénouer doucement entre Berne et Tripoli rappelle que la Libye demeure un pays particulier dans le concert des nations. Dans le contexte diplomatique actuel très tendu entre Berne et Tripoli, l’empressement de Nicolas Sarkozy à dérouler le tapis rouge devant le guide de la révolution lors de sa visite officielle à Paris l’hiver dernier apparaît quelques mois plus tard comme imprudent et précipité.
Plus qu’un incident, la Suisse et la Libye viennent de vivre une grave crise diplomatique ouverte traitée de façon discrète par les grands médias français.
Le 5 juillet dernier, Hannibal Kadhafi, 32 ans, quatrième fils du dirigeant libyen, arrive en Suisse avec son épouse Aline. Cette dernière enceinte, a choisie la Confédération Helvétique pour accoucher. Peu de temps après leur arrivée, deux membres de leur personnel de maison, une domestique tunisienne et un employé marocain, déposent plainte pour avoir été maltraités. Les époux sont inculpés de “lésions corporelles simples, menaces et contraintes” et arrêtés. Les Kadhafi nient tout en bloc mais sont incarcérés pendant deux jours du 15 au 17 juillet avant d’être libéré après versement d’une caution de 312 500 euros.
Hannibal Kadhafi est connu pour ses frasques. En septembre 2004, il avait été interpellé à Paris alors qu’il remontait à contre-sens l’avenue des champs-élysées en grillant plusieurs feux rouges. Ses gardes du corps s’étaient interposés face à la police. Arrêté, il avait été immédiatement relâché pour officiellement pour cause d’immunité diplomatique alors que dans les faits il n’en bénéficiait pas.
Mais, la Suisse n’est pas la France et ne réserve pas de traitement de faveur au fils prodigue. Ce manque de déférence suscite l’ire de Mouammar Kadhafi d’autant, que la Libye est le premier fournisseur de pétrole brut dela Suisse. Les représailles ne tardent pas. Tripoli suspend ses livraisons de pétrole. Les compagnies suisses ABB et Nestlé sont contraintes de fermer leurs bureaux en Libye tandis que deux ressortissants suisses de ces entreprises sont arrêtés et placés en détention préventive, accusés d’infractions en terme d’immigration et de séjour. Les vols entre les deux pays sont réduits, la Libye arrête de délivrer des visas aux ressortissants suisses, et Tripoli a rappelle certains de ses diplomates en poste à Berne. Des actions de représailles supplémentaires sont promises, notamment le retrait des avoirs libyens des banques suisses si des excuses officielles ne sont pas présentées rapidement.
La ministre des affaires étrangères Helvétique, Micheline Calmy-Rey, est contrainte d’interrompre ses vacances pour gérer la crise. Une délégation est envoyé en Libye afin d’expliquer les motifs de l’arrestation de Hannibal Kadhafi. Rien n’y fait. Samedi dernier, le président suisse Pascal Couchepin va même jusqu’à se déclarer prêt à rencontrer le guide Libyen pour dénouer la situation.
Mardi soir, les deux ressortissants suisses sont libérés, sous caution, par la justice libyenne. En bonne santé, en dépit de conditions de détention difficiles, ils sont momentanément à l’ambassade de Suisse dans l’attente d’une autorisation de sortie du territoire. Selon certaines sources les autorités Suisses auraient eu recours aux bons offices de la France et de l’Italie, mais aurait surtout dû exprimer des excuses ou des regrets.
Le retrait de la plainte déposée par les deux domestiques serait en négociation alors que selon un média Suisse les plaignants continueraient de se cacher à Genève, sous protection policière. Selon l’avocat du plaignant marocain, ce dernier serait sans nouvelles de sa mère arrêtée à l’aéroport de Tripoli alors qu’elle s’apprêtait à rentrer à Casablanca. L’information selon laquelle elle aurait été libérée vendredi n’a pas été confirmée. En revanche les livraisons de pétrole ont repris ce mercredi, signe de l’épilogue de cette saga de l’été.
Voilà somme toute le régime honoré par la France lorsque Paris accueillait du 10 au 15 décembre dernier la tente bédouine de Mouammar Kadhafi dans le parc de l’hôtel Marigny. Nicolas Sarkozy avait alors annoncé que le sulfureux colonel libyen avait regagné ses galons de respectabilité en renonçant à son programme d’armes de destruction massive, en tournant le dos au terrorisme et en libérant les infirmières bulgares l’été dernier. Pour ce qui est des fameux contrats, ils ont pris l’allure de miroir aux alouettes. Un échec sur toute la ligne.
Si la position Française a changé, tel ne semble pas être le cas de Mouammar Kadhafi. Comme le relève aujourd’hui dans ses colonnes le quotidien Genèvois Le Temps : La crise diplomatique entre Berne et Tripoli soulève la question: quel rôle joue la Libye sur la scène internationale et sa réhabilitation était-elle justifiée? Chercheur au Centre d’études et de recherches internationales (CERI) à Sciences Po Paris et auteur du Libyan Paradox (Hurst, 2007), Luis Martinez l’affirme: «Le régime libyen est animé par le sentiment de puissance retrouvée. Il nous dit que c’est un pays incontournable et qu’il faudra compter avec lui à l’avenir.»
Crédit photo : Antonio Miléna (Agence Brasil)