30 octobre 2016
Je me laisse envelopper par la chaleur de cette eau tellement chaude que j’ai du serrer les dents pour m’y plonger. Mes amis (Mathilde et Olivier) sont probablement allé tester un bain moins chaud quelque part dans ce SPA géant plein d’étoiles. On ne s’est pas quittés depuis 3 jours de visite intense de Madrid, on s’est autorisé un bain à part.
Je suis sur le point de m’endormir. Seule la chaleur intense fait disparaitre la douleur. Je me sens bien et léger, enfin.
Je perçois une présence, j’ouvre un œil, un monsieur est venu s’assoir à côté de moi. Une quarantaine d’années, athlétique mais très mince, presque maigre, des cheveux mi-longs, un mini-maillot de bain coloré qui tranche avec les codes vestimentaires plutôt traditionnels de l’endroit, un large sourire communicatif, il me lance un grand “¡Hola!”. Après lui avoir indiqué en anglais que je ne parle pas espagnol sur un ton qui laisse peu de doute sur ma ferme intention de ne pas poursuivre cette conversation, il me demande depuis combien de temps je souffre des épaules.
Forcément, je suis interloqué. Je subis une capsulite rétractile qui me pourrit la vie depuis quelques semaines (ce n’est que le début) mais ce n’est pas tellement supposé se voir. Devant mon incapacité à gérer cet étrange début de conversation, il enchaîne dans un anglais sans accent sans attendre la moindre réponse.
– Je vous ai vu entrer dans l’eau, j’ai ressenti votre douleur. Est-ce que vous avez subi un choc psychologique dernièrement ?
C’est la question qu’on m’a le plus posée depuis 2 mois. Non. Je ne dis rien mais non.
– Je pense que dans votre cas, c’est quelque chose qui vous pèse. Le travail, votre relation amoureuse, un projet dans lequel vous vous êtes engagé il y a 9 mois…
En tant que célibataire heureux dans mon travail, je cherche donc ce qu’il s’est passé dans ma vie il y a 9 mois. Je ne vois rien. Il n’y a rien qui me pèse. Je suis heureux. Heu-reux. Cette personne me raconte n’importe quoi, c’est évident. Je ferme les yeux, me rendors même peut-être. En tout cas, lorsque j’ouvre mes yeux, c’est à l’approche de mes amis et le monsieur est parti sans que j’y prête attention. Madrid, ses tapas et ses cocktails nous attendent, n’y pensons plus.
8 mai 2017
Ma capsulite rétractile a convoqué l’épaule droite alors que la gauche n’est pas encore remise. A part ça, tout va bien. Mais vraiment bien. Pour une raison que je ne comprends pas, je me suis réveillé le matin même avec une révélation qui m’a glacé : je me suis engagé dans un projet en août 2015 mais le contrat n’a été signé qu’en janvier 2016. Soit très exactement 9 mois avant ma visite de Madrid. J’ai bêtement pensé “il aurait pu préciser que c’est la signature qui comptait“…
Et s’il avait raison ? Si ce projet me pesait plus que je ne l’imaginais ? Je n’ai pourtant jamais pensé qu’il suffirait de quelques mois pour le réaliser, je savais que le chemin serait long et sinueux. Mais j’en suis à un point où n’importe quelle méthode pour faire disparaitre cette douleur lancinante dans mes deux épaules est bonne à explorer.
J’y pense toute la journée, je ne peux pas m’y empêcher. C’est le temps qui m’est nécessaire pour décider de tout arrêter.
Le soir, je dîne avec des amis (Pierre et Matthieu), ils connaissent mon projet, je suis sur le point de leur annoncer ma décision quand mon téléphone sonne. C’est un ami (Sabri), rien ne dit que c’est urgent et pourtant je sors pour décrocher. Il doit me présenter quelqu’un par rapport au projet, il est sûr que ce peut être une rencontre décisive. Je le crois. Je rejoins mes potes dans le restaurant et je me tais.
14 mai 2017
Nous dinons à 3 sur la terrasse de l’Hotel Providence, près du théâtre de la Renaissance, à 2 pas du Théâtre Antoine et du Splendide. Sabri me présente Virginie. Nous travaillerons ensemble, je le sais le soir même. Le lendemain, j’appelle celui avec lequel j’ai acheté les droits (Fred) et lui annonce que nous allons renouveler pour une année supplémentaire.
Quelques années plus tard, le 8 septembre 2021 débuteront au Théâtre du Rond Point les représentations de The Normal Heart, la pièce de Larry Kramer mise en scène par Virginie de Clausade. Je n’ai jamais autant pensé depuis quelques semaines à mieux discerner les bons signes du destin parmi tous les scories. (Et je pourrai lever les 2 bras dans la salle en signe de victoire, mes épaules vont bien, merci.)