« Petite parenthèse sur la méthode. Je viens d’utiliser le mot ‘cristallisation’, qui me rappelle la belle formule de Reverdy selon laquelle le poème serait ‘la réalité imaginée’, une cristallisation, à l'image du givre sur une vitre ou une ardoise, du monde extérieur, visible, et de cet autre monde, intérieur, fait de visions, de subjectivités, de désirs et de souffrances obscures ; le poème serait donc le fruit de ces moments si rares mais fructueux, qui préserve de la collision de ces deux mondes dans une disposition de mots sur la page. Mais là où Reverdy proscrit la ‘réminiscence livresque’, la poésie qu'on va lire, nourrie d'un modernisme anglo-saxon, en est ici truffée. Il s'agit du terreau qui sous-tend le poème, ou de la matière du collage, ce qui met en jeu une certaine idée de la tradition. Pour dire les choses autrement, plus humblement et simplement : Coleridge, Kierkegaard, Nerval, Laforgue, entre autres, sont depuis longtemps pour moi des phares, des guides – mais ils peuvent aussi tenir lieu d'épouvantails comminatoires – et il arrive, parfois, que leurs mots s'insinuent en épigraphe jusque dans le corps du poème. ‘Le mauvais poète imite, le bon poète est voleur’, disait Eliot. Pour être clair, la réminiscence livresque, l'allusion directe, fait partie, elle aussi, des ‘objets de savoir’, du stock of available reality pour reprendre la formule consacrée. »
(Extrait de l’avant-propos de l’auteur)
Stephen Romer, Le fauteuil jaune, traduction de l'anglais par Gilles Ortlieb et Antoine Jaccottet, Editions Le Bruit du Temps, 2021, 208 p., 22€