Entre Limoges et Périgueux, à la frontière du département administratif, se dresse la tour de Châlus. Il y en avait deux jadis, il n’en reste qu’une.
Le 26 mars 1199, Richard Cœur de Lion assiégeait le château de Châlus-Chabrol avec ses routiers. Il reçoit au défaut de la cuirasse, dans l’épaule, un carreau d’arbalète qui le couche sur le flanc. Ce trait a été lancé par le chevalier Pierre Basile. Le roi meurt le 6 avril à 42 ans, de la gangrène qui s’est mise dans la plaie. Richard a pardonné à Pierre Basile car il n’avait fait que se venger de la mort de son père et de ses deux frères, tués par les Anglais. Mais une fois parti pour l’au-delà, il n’a pas pu empêcher « ces cochons d’Anglais » (dit-on ici) d’exercer leurs représailles mesquines en pendant tous les défenseurs du donjon, pris vivants par la soif, et en écorchant vif l’arbalétrier Basile. L’un de mes ancêtres probable ; la moitié de mes gènes sont originaires de cette région précise.
Il reste aujourd’hui le donjon cylindrique de 25 m de haut, massif avec ses 10 m de diamètre sur 3 m d’épaisseur de moellons de gneiss. Il date du 11ème siècle. On ne pouvait y accéder que par une échelle, la porte étant située à près de six mètres du sol. Le château qui l’entourait était perché à 404 m d’altitude, l’un des plus hauts points de la Haute-Vienne, sur les derniers contreforts du Massif Central qui servit de « marche » défensive contre les Anglais de Guyenne durant la guerre de Cent ans. Ne restent de la chapelle du château que des ruines. C’est pourtant dans ces lieux que furent déposées les entrailles du roi car elles ne pouvaient voyager. Il reste un peu de Richard à Châlus…
La visite est guidée par un étudiant limousin aux cheveux longs et en Cat – ces grosses chaussures de chantier de marque Caterpillar qui ont été à la mode. Suit une heure d’explications qui reprennent grosso modo celles du Guide Vert Michelin. Elles font mousser un peu ces vieux bâtiments remaniés dont on sait peu de chose. Il n’en reste d’ailleurs quasiment rien, hors les murs. Une cheminée en granit du 15ème et une porte en arc brisé, aujourd’hui murée, une salle à voûte et un escalier à vis, permettent de se faire une vague idée du château dans les siècles. Le domaine appartient aujourd’hui à un propriétaire privé c’est pourquoi il tient à le faire connaître. Ses raisons fiscales rencontrent une demande du public pour tous ces « lieux de mémoire » qui fixent l’histoire dans le concret (et l’identité dans un monde qui se globalise). Avec moi, pour la visite, deux vieilles sœurs normandes et le mari de l’une d’elles. Elles sont très intéressées par l’exposition sur les travaux d’exploitation traditionnelle de la forêt, pratiqués par les paysans du lieu. Les feuillardiers, vanniers et menuisiers travaillaient le châtaignier dans ses feuilles (pour les toits), ses branches (pour les paniers et les lattes pour les tonneaux et les clôtures), son écorce (pour le tannage) et son tronc (pour les meubles), laissant aux femmes le soin des fruits (les châtaignes furent le pain des paysans).
Quelques explications brèves évoquent les superstitions, très répandues dans ces pays isolés des échanges et propices à l’imagination par leurs étangs d’eau morte, leurs bocages et leurs forêts épaisses. On craignait le mauvais œil, les nuits de Carnaval et du Premier mai où, disait-on, les sorciers allaient danser nus à la pleine lune avec les chats noirs. Il fallait chasser les sortilèges en jetant du sel dans la maison, dans le puits, sur les champs. D’où le goût ancestral du sel dans la cuisine. Mon grand-père trouvait que la soupe n’était jamais assez salée et mon arrière grand-mère (que j’ai pu connaître puisqu’elle n’est morte qu’à 98 ans, la mère de ma grand-mère maternelle), salait les cèpes comme s’il s’agissait de les exorciser. Ces subsistances de païenneries expliquent aussi pourquoi le Limousin est aussi le pays des saints. Il en existe des centaines, issus des cultes locaux pré-chrétiens. Patrons, protecteurs, guérisseurs, ermites et fondateurs d’abbayes ont laissé des reliques qui sont exposées une fois l’an en « ostensions ». Les cimetières ont en leur cœur une « lanterne des morts » qui est une tourelle à logette où brûle dans l’obscurité une lampe depuis le 11ème siècle. Les esprits des morts enfouis sous la terre aspirent à retrouver la lumière dont ils sont privés. Les Egyptiens croyaient de même que le soleil mourait chaque soir pour s’engloutir dans les profondeurs de la terre avant de ressurgir au matin, tout comme les morts ressurgiront dans la vie éternelle.
Dans la ville, un peu plus bas, se dresse l’autre château de Châlus, dit Châlus-Maulmont. Il ne se visite pas et son donjon du 13ème siècle s’est écroulé un jour après la pluie, dans les années 1980, sans heureusement faire aucune victime.