Que serait écrire, si ce n’était appeler l’ordre d’une phrase à l’encontre de l’incompréhensible réel ? Et quelles justifications à nos arts sinon qu’ils donnent la forme d’un vers à ce qui défie si bien toute parole ? À l’évidence, nos arts ont produit des formes bien incommodes. Mais qui sait ? Les plus apparemment barbares sont peut-être celles qu’auront portées le plus grand scrupule, la plus grande délicatesse, la plus grande inquiétude à l’endroit de ce qui est — qu’il s’agit, au fond, de sauver.
Pas un poème, pas un vers, pas une page, qui n’aient été appelés par un fait, un événement réel — le plus souvent datable — ou son retentissement, et comme provoqués à répondre de ce fait.
L’écriture n’est pas là pour dire. Elle est là pour être.
La poésie est condamnée à dépouiller ce qu’elle convoite des prestiges dont elle veut lui faire honneur, à accumuler sans fin des forces pour faire face à ce dont elle affronte la force.
Un homme qui écrit est toujours un homme qui attend, et, pour cela, craint, tente d’éloigner le pire, jouant sur quelques figures une possible chance.
Jean-Paul Michel, La Vérité, jusqu’à la faute, Verticales / Gallimard, 2007, p. 20, 21, 38, 77 et 107.