Au sommaire de la revue* 2021, une intéressante contribution de Mathieu Nuss. Il offre de très belles variations autour d’un vers d’un poème de Rückert mis en musique par Gustav Mahler dans ses « Rückert Lieder » : Ich bin der Welt abhanden gekommen. Traduction proposée par Wikipédia : « Je suis coupé du monde /Dans lequel je n’ai que trop perdu mon temps. / Depuis longtemps, il n’a plus rien entendu de moi. / Il peut bien penser que je suis mort !
Et le texte se termine sur ces mots : « Je suis mort au tumulte du monde et repose dans mon tranquille domaine. Je vis seul dans mon ciel, dans mon amour. Dans mon chant. »
Extraits !
Par des kilomètres de vasière, quoi fuit sous le coup lointain de semonce, mais qui n’a pas eu – comme grain de pollen – ce grand art de l’esquive ? Des fruits auraient décroché du compotier, un lièvre par la fenêtre au même instant retrouvé son terrier creusé dans l’âge de bronze.
Mars et novembre stoïques dans chacune des deux paumes de l’idiot. Qui pèsent leur poids gras de terre.
Protégées par du plexiglas, les profondes respirations de quelques véhicules, loin très au loin, la présence d’une autoroute que rappelle le vent défavorable.
Avec sa tête de bonnet et sa locomotion de taupe déroutée, l’idiot cherche village, dans ce stock mort de phrases qu’il a en poche, ou plus surprenant, dans les fers nombreux qu’il garde au feu. Aspiration de métal, fragments ballants, chanlattes exténuées, rebuts d’acier, cornières, il en passe, carcasses électroménagères, et s’éloigne comme mouche avec ses moignons (l’atrophie servant l’équilibre) dans la couleur ardoise.
Il ne suit que les lignes haute tension qui filent droit comme migrateurs sans bifurquer, qui gouvernent son écholocalisation pourrait-on croire, suit les rails pourtant sur mesure d’un train convaincu de ne plus passer, de ne plus vivre où s’occuper est la seule manière de s’occuper. Les routes allant réellement quelque part ? Il évolue par les sentiers en presque brasse papillon, évalue les distances avec une précision militaire.
+5° extérieurs, entrant comme par effraction, perfusant, frisant de sous la porte et des encadrements vieillots des fenêtres. Ou juste l’ombre de courant d’air parfois dans les muscles.
(...)
Mathieu Nuss, in revue * 2021, 172 p., 14€, pp. 137 – site de l’éditeur Julien Nègre
Également au sommaire de la revue, un texte de Gérard Cartier, extrait de son Voyage intérieur, publié récemment dans le cadre de l’anthologie permanente de Poezibao.