Les Talibans à Kaboul : Emmanuel Macron intervient

Publié le 17 août 2021 par Sylvainrakotoarison

" L'Afghanistan ne doit pas redevenir le sanctuaire du terrorisme qu'il a été. C'est un enjeu pour la paix, la stabilité internationale, contre un ennemi commun : le terrorisme et ceux qui le soutiennent ; à cet égard, nous ferons également tout pour que la Russie, les États-Unis et l'Europe puissent efficacement coopérer, car nos intérêts sont bien les mêmes. " (Emmanuel Macron, le 16 août 2021).

Ce lundi 16 août 2021 fait partie de ces tristes journées de l'histoire du monde. Kaboul, la capitale de l'Afghanistan, n'a résisté que quelques heures à l'entrée des Talibans dans la ville. Ils contrôlent désormais tout le pays, de manière très prévisible.
Le départ des troupes américaines après celui des troupes notamment françaises ne laissait guère de doute sur l'évolution du pays. Le problème est réel : fallait-il rester pour porter une supposée démocratie de manière très artificielle ou laisser la nature faire et les Afghans se retrouver avec un retour inéluctable des Talibans, une sorte de retour à la case départ, à celle de 2001 ?
Il y a malheureusement peu de doute sur la suite des événements et la transformation de la société afghane. Le pessimisme paraît de mise même si ces vingt dernières années n'avaient pas de quoi être glorieuses. Ces prochaines semaines, il y aura forcément des horreurs, car on ne maîtrise jamais une armée d'occupation de cet ordre-là. Ce sont toujours les extrémistes qui ont le dessus.
L'urgence est d'ordre humanitaire. Il y a l'évacuation des ressortissants étrangers, en particulier français, l'ambassade de France est occupé et les Français sont repliés à l'aéroport international, mais l'aéroport lui-même, en principe encore sous contrôle américain, a été envahi par la foule. Il y a cependant peu de raisons de ne pas laisser repartir les étrangers, sauf à vouloir refaire le coup de la prise d'otages à l'ambassade américaine à Téhéran en 1979.
Le plus préoccupant reste cependant les Afghans qui ont coopéré avec notamment l'armée française et la France doit leur garantir, à eux et à leur famille, la sécurité la plus forte. En nous aidant, ils se sont engagés et ont pris des risques et c'est de notre devoir de les protéger. Il semblerait que ces derniers jours, certains d'entre eux ont eu beaucoup de problème pour obtenir un visa français.
Toujours est-il qu'ils peuvent être comparés à des harkis afghans, et il est indispensable de les défendre. Pour autant, des voix particulièrement odieuses commencent à se faire entendre pour entretenir la tendance anti-immigration dans un but purement électoraliste. Autant dire les choses : c'est dégueulasse. Il s'agit de la vie de ces amis de la France dont nous avons profité et il faut les protéger des Talibans.
L'autre sujet français est plus moral qu'humanitaire : la France a perdu 90 soldats depuis qu'elle est engagée en Afghanistan en 2001 (l'armée s'est retirée en 2014). La question qu'un citoyen français pourrait légitimement se poser est : ces vies ont-elles servi à quelque chose ? Car si nous sommes intervenus en Afghanistan, c'était pour stopper la contagion terroriste et terrasser une base arrière du terrorisme islamique.
Ces questions brûlantes, que peut-être les Français en vacances pourraient appréhender d'un œil distrait, ont fait que le Président de la République Emmanuel Macron s'est senti obligé de prononcer une allocution télévisée sur un ton grave adapté à la situation (allocution qu'on peut lire ou réécouter ici).

On pourra toujours dire qu'Emmanuel Macron fait sa campagne électorale. Ce qui est un peu ridicule car je ne pense pas que son allocution ait eu une forte audience en plein mois d'août. En revanche, il fait son travail de Président de la République, chef de la Nation et chef des armées, ce que son prédécesseur manquait généralement de faire : exprimer la position de la France, esquisser des perspectives.
Certes, Emmanuel Macron n'est pas Superman et n'a rien dit de particulièrement surprenant. Il a néanmoins parlé de ces sujets importants.
D'une part, sur la protection des Français et de ceux qui les ont aidés : " L'urgence absolue est de mettre en sécurité nos compatriotes, qui doivent tous quitter le pays, ainsi que les Afghans qui ont travaillé pour la France. ". Il a précisé que " la situation [sur le site historique de l'ambassade] demeure préoccupante ". Il a indiqué également que la France protège actuellement le délégué de l'Union Européenne et ceux des Afghans qui ont travaillé avec la représentation européenne. 800 des Afghans qui ont aidé la France sont déjà placés sous la protection française hors d'Afghanistan mais des dizaines d'autres attendent encore de quitter l'Afghanistan.
La France veut aussi aider ceux qui se sont engagés contre les Talibans : " De nombreux Afghans, défenseurs des droits, artistes, journalistes, militants, sont aujourd'hui menacés en raison de leur engagement. Nous les aiderons parce que c'est l'honneur de la France d'être aux côtés de celles et ceux qui partagent nos valeurs, autant que nous pourrons le faire et en tenant compte de la nécessaire adaptation de notre dispositif. ".
Il faut évidemment lire entre les lignes et la fin de la phrase que je viens de citer pourrait laisser entendre que moralement, nous soutenons ces personnes engagées, mais concrètement, cela dépendra un peu de nos possibilités.
Ce qui ne manquera pas d'arriver, c'est qu'on puisse reprocher à Emmanuel Macron un afflux de nouveaux arrivants pour la France. Or accueillir quelques milliers de réfugiés afghans pour un grand pays comme la France qui compte 68 millions d'habitants ne devrait pas poser de problème, sinon mental et électoral. C'est vraiment avoir une bien mauvaise idée de la France de croire que nous ne pouvons pas les accueillir dans des conditions dignes.
Toutefois, Emmanuel Macron, n'oubliant pas d'être habile politiquement et anticipant ainsi les futures critiques, a aussi insisté pour éviter de nouveaux flux migratoires irréguliers : " Nous devons anticiper et nous protéger contre des flux migratoires irréguliers importants qui mettraient en danger ceux qui les empruntent, et nourriraient les trafics de toute nature. ".
D'autre part, sur le rappel des soldats français morts en Afghanistan : " En Afghanistan, notre combat était juste et c'est l'honneur de la France de s'y être engagé. La France n'y a jamais eu qu'un ennemi : le terrorisme. Nos interventions militaires n'ont pas vocation en effet à se substituer à la souveraineté des peules, ni à imposer la démocratie de l'extérieur, mais à défendre la stabilité internationale et notre sécurité. Partout, la mise en place de processus politiques crédibles est notre priorité. C'est ce principe fondamental de notre politique étrangère que nous avons appliqué en Afghanistan et que nous continuerons de mettre en œuvre. (...) Nous n'oublierons pas nos soldats. Nous n'oublierons pas nos morts. 90 au total. ".
En outre, le Président Emmanuel Macron a tenté d'esquisser des perspectives. En premier, avec une action au Conseil de Sécurité des Nations Unies, au sein duquel Emmanuel Macron espère une coopération entre la Russie, les États-Unis et l'Europe (notamment la France et le Royaume-Uni, tous les deux membres permanents). Il n'a rien dit à propos de la Chine.
L'autres perspective, déjà évoquée plus haut, c'est d'éviter une nouvelle crise migratoire. Emmanuel Macron souhaite alors faire fonctionner le couple franco-allemand : " Nous porterons (...) une initiative pour construire sans attendre une réponse robuste, coordonnée et unie qui passera par la lutte contre les flux irréguliers, la solidarité dans l'effort, l'harmonisation des critères de protection, et la mise en place de coopérations avec les pays de transit et d'accueil comme le Pakistan, la Turquie ou l'Iran. ". Sur la forme, prenons note d'un nouvel adjectif en vogue dans le langage diplomatique, "robuste", à la définition élargie pour pérenne, durable.
Concrètement, à part deux avions militaires français prêts à rapatrier des ressortissants français (et des amis afghans qui les ont aidés), Emmanuel Macron n'a pas précisé ni le projet de résolution à l'ONU, ni la nature de l'initiative pour contrôler le flux migratoire. Il est encore trop tôt et il faut amorcer la concertation internationale.
En prenant ainsi la parole devant les Français, Emmanuel Macron n'a fait que son devoir de Président de la République. Il n'aurait rien dit qu'on le lui aurait reproché. Il a été même plus rapide que son homologue américain, Joe Biden, qui semble particulièrement mal à l'aise dans cette nouvelle situation et qui (à cette heure) ne s'est toujours pas exprimé publiquement sur l'occupation talibane de l'Afghanistan.
Ni les Russes, ni les Américains n'ont réussi à stabiliser l'Afghanistan. Peut-être est-ce le rôle de l'Europe de devenir enfin un géant diplomatique ?...
Aussi sur le blog.
Sylvain Rakotoarison (16 août 2021)
http://www.rakotoarison.eu
Pour aller plus loin :
Emmanuel Macron sur les Talibans à Kaboul.
Les Talibans à Kaboul en 2021.
Allocution télévisée du Président Emmanuel Macron, le 16 août 2021 à Paris (texte intégral et vidéo).
Les soldats français morts en Afghanistan.
Chasseur alpin en Afghanistan.
L'invasion de l'Afghanistan par l'armée soviétique.
Jacques Hamel, martyr de la République.
Fête nationale : cinq ans plus tard...

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