Tu es parti un vendredi matin. La grande horloge sonnait 10 heures quand je traversais la ville pour me réfugier chez moi. Je ne suis pas sortie pendant trois jours. Et puis, il a bien fallu. Se lever, manger, travailler, parler. Tout me semblait si difficile, je ne sentais que le poids du vide. Qu’aujourd’hui, j’ai décidé d’écrire.
5° jour
Le soleil et la chaleur sont revenus. Ils m’incommodent. Il y a trop de lumière pour me cacher, et je n’ai pas envie que l’on me voit, non, et pas plus envie de voir. Je voudrais vivre dans le noir.
7° jour
Une semaine demain. Triste anniversaire. J’ai parfois la sensation qu’il ne sera pas le premier. Puis je la chasse, j’ai assez de nuages dans la tête.
Je n’arrive pas à pleurer. J’ai de l’écume aux coins des yeux mais pas de vague. Le vide me ronge de l’intérieur, il aspire jusqu’à mes larmes et bientôt il m’aura effacée.
Sans toi, je ne me sens pas exister.
8° jour
Le ciel était à l’orage. Une chaleur étouffante s’est emparé de la ville, plus personne ne respire. Les nuages sont arrivés en fin de journée. Noirs et nombreux. L’apocalypse n’était pas loin, je me sentais bien, enfin, pas trop mal.
Est-ce le temps qu’il fait ou le temps qui passe, ce soir, quand je suis rentrée, j’ai enfin pu pleurer. Des sanglots incroyables, un fleuve de larmes dont tu es la source, tout l’amour que je ne te fais pas se liquéfie et viens inonder mon lit. Je serre dans mes bras ce tee-shirt sur lequel ton odeur a presque disparue.
9° jour
Plus légère en quittant les draps. Plus légère sous la douche. La caresse de l’eau était plaisir de nouveau, ce matin. Mais l’odeur du café reste un problème, je me souviens trop bien combien tu l’aimais.
Sans toi, je déserte le canapé, je ne mets plus mes pieds sur la table, je n’accompagne pas mon petit-déjeuner d’une musique agréable. Sans toi, je bois mon café les fesses posées sur le bord de la fenêtre, parfois le buste penché au-dessus du vide, les bruits de la rue pour seuls compagnons. Là, je fume une, deux cigarettes, j’entends ta voix me dire que je fume trop, j’écrase mon mégot.
10° jour
La vie est une fête foraine. Certaines nuits de chance, on s’endort serrant dans ses bras un ours en peluche gagné à le grande loterie. D’autres fois, on se couche avec la nausée, fatigué par les descentes et les montées des montagnes russes.
12° jour
Fatiguée. Je suis fatiguée. Epuisée. Exténuée. Vidée. Malheureuse comme les pierres et paumée, complètement paumée. Pourquoi dit-on “malheureux comme les pierres”, au fait ? Si le mal ne cesse, je risque de devenir comme elles : grise et sèche. Dure.
J’ai perdu mes repères. Je ne sais plus si je dois rire ou pleurer, me battre ou abdiquer, y croire ou bien désespérer. Je ne sais plus si je t’aime ou te hais. Je ne sais plus si tu m’as vraiment aimée. Je ne sais plus qui je suis, ni qui tu es. Je ne sais plus où je vis, ni ma rue ni mon quartier, je ne reconnais plus les visages familiers. Mais j’entends ta voix dans le vent du soir, la plus douce voix qui soit. Je t’écoute et ne dors pas.
13° jour
Quatre nuits sans sommeil. J’ai deux trous à la place des yeux. Des trous noirs, vides, je fais peur si tu savais. On m’a dit de me reprendre, on a sûrement raison mais comment fait-on ? Je ne sais t’oublier, je ne sais renoncer à toi.
Je me demande parfois… Et puis j’arrête. Me demander me fait mal, c’est comme un jus de citron sur une plaie, ça brûle.
14° jour
Toujours sur mes montagnes, russes bien sûr.
En haut, j’écris. Beaucoup. Les histoires fourmillent dans ma tête, des images, personnages, je les enfile comme on enfile des perles, j’ai des pages et des pages de colliers, si tu savais… En haut encore, j’écoute Erik Watson au beau milieu de la nuit, je me tapis dans ses ombres pour m’emplir de sa lumière, je pense à toi qui l’aimais tant, je ne l’écoute plus : je l’entends. En haut toujours, je me repasse le film de nos moments, ces clichés que le temps n’a pas encore jaunis mais il fera bientôt son travail, je le sais, c’est d’ailleurs la seule chose que je sache.
En bas… Je pense à toi. Toi si loin et si proche à la fois. Toi sur tes chemins boueux et tortueux, la météo m’a dit hier qu’il pleuvait sur ta région. Toi au milieu des champs de blés tout juste moissonnés. Toi pieds nus dans l’herbe…penses tu à moi ? Toi avec elle, elle qui ne t’aime pas comme moi, elle qui ne te connaît pas comme moi, elle qui ne te comprend pas comme moi. Toi avec elle dans votre belle maison, et vos années que je vous envie à en crever. Toi avec elle, toi avec elle, toi avec elle.
Mon lit est désert et froid.
16° jour
J’ai rencontré un homme. Il est jeune et beau, ses yeux sont verts et sa peau mate. Il m’a dit que mon sourire venait de l’intérieur, puis il a pris ma main pour y écrire au stylo : tout va bien, mais personne ne s’en doute. Il m’a offert du vin et nous avons parlé la moitié de la nuit. L’autre moitié, nous aurions dû nous aimer. C’eût été logique, c’eût été beau de nous aimer, d’abord avec nos mots puis avec nos peaux.
Il m’a raccompagnée jusque chez moi. Devant la porte, il a passé sa main dans mes cheveux. Il a lentement approché son visage du mien. Il était beau. Mais quand ses lèvres ont frôlé les miennes, quand j’ai senti son souffle épouser le mien, j’ai reculé, ouvert la porte, grimpé les escaliers deux à deux et me suis ecroulée, le dos contre la porte fermée. Je ne pouvais pas. Pas un autre que toi. Et je sais que c’est stupide, je sais ce que tu vas dire, je dois vivre ma vie, d’autres existent, d’autres doivent exister, mais…
Mais aucun n’est Toi.
Il était jeune et beau, ses yeux étaient verts et sa peau mate, mais il n’était pas Toi. C’était peut-être son seul défaut.
17° jour
Je T’aime
18° jour
Je pense. Je panse.
Je pense beaucoup, j’analyse, j’examine, je réfléchis, je revois, je repasse, je ressasse et je me demande, j’essaie, je bute, je me plante alors je pense encore, je panse, je pense beaucoup, j’analyse, j’examine, je réfléchis, je revois, je repasse, je ressasse et je me demande, j’essaie, je bute, je me plante alors je pense encore, je panse, je pense beaucoup, j’analyse, j’examine, je réfléchis, je revois, je repasse, je ressasse et je me demande, j’essaie, je bute, je me plante alors je pense encore, je panse, je pense, je panse, je pense, je panse, je pense…
Ma pensée n’est que de toi, que pour toi. Elle est un fleuve qui une heure me porte, une heure me noie.
Une seule lumière subsiste, minuscule, fragile : je saurai faire du beau de tout cela.