Les nuages, dans l’art, ne serait-ce que ceux d’Eugène Boudin ? Je rentrais de Normandie quand je suis allé voir l’exposition au Centre d’art contemporain La Traverse, à Alfortville. Les nuages ? Quels nuages ? Au milieu de la première salle, une maquette du Tate Modern de Londres, musée installé dans une ancienne usine dont il a gardé la cheminée. Voilà une source de nuage, la cheminée d’usine. Passe dans ma tête le smog de 1952, un brouillard persistant et meurtrier. Et le souvenir du nuage de Tchernobyl (qu’on n’a pas vu).
L’homme, donc, crée des nuages. Depuis plus d’un siècle, les cheminées d’usine sont le signe de l’industrialisation, et leurs panaches celui du progrès. Les affiches suspendues autour de la salle en sont l’illustration. L’usine, c’est le travail, c’est aussi l’exploitation, c’est aussi le lieu de la lutte ouvrière, de la lutte des classes. On ne l’entend pas dans cette exposition mais dans mon souvenir, oui : il y a l’appel de la sirène, « la sirène y gémit », écrivait Apollinaire.
Les cheminées disparaissent de nos paysages urbains. Certaines subsistent, parfois seulement comme la trace d’un passé révolu (comme celle de la sucrerie à Abbeville). D’autres font toujours leur office. Ne s’en échappe, dit-on, que de la vapeur d’eau. Cette affirmation est contredite par le « nuage vert », rayonnement projeté sur la fumée des cheminées de l’usine d’incinération de déchets d’Ivry-sur-Seine. Contredite aussi l’idée que ces nuages s’évaporeraient dans le ciel sans retombées alentour, comme dans cette maquette d’EPR, ici traduit par Réacteur Pessimiste Européen.
Légèreté donc des nuages, des fumées comme ces plumes agglutinées représentant la fumée au décollage d’une fusée Ariane emportant avec elle un SUV, sigle dissimulant mal le 4X4, reconnu nocif du point-de-vue écologique. Comme si les industriels nous disaient : « vous n’aimez pas le 4X4 ? vous n’aimez pas les chiffres ? Voici des lettres… » Mais des lettres, répliquerait Cyrano, « vous n’avez que les trois qui forment le mot sot ».
Peut-être penserez-vous que je me suis éloigné des nuages de Boudin. J’ai pensé aux nuages d’Adrien M et Claire B vus (et traversés) à la Gaîté Lyrique, à tout ce qui nous environne qu’on voit ou non, aux feuilles de tabac qui séchaient dans l'atelier paternel, aux incendies actuels du pourtour méditerranéen, aux particules fines...
C’est une exposition signée HeHe,
visible jusqu’au 28 août.