Écrire un paysage
Depuis l’enfance et jusqu’à demain
On peut se demander
Quel paysage on a traversé
On se demande : on entend
Des noms de pays, le Maroc et l’Italie
La Vendée, les États-Unis
Des noms d’arbres qu’on a rencontrés
L’eucalyptus et l’olivier, l’orme et l’érable.
Écrire s’imagine raconter, dire et donner à voir
Feuillages et couleurs d’où on est passé.
Mais ce ne sont que formes d’encre et, comme découpés
Quelques mots pris au dictionnaire.
On va par le concret d’un poème
S’échouer dans l’abstraction du passé.
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Il arrive que le paysage s’étende et bientôt
Le voilà comme un dessin de carte géographique
Tout juste si les couleurs qu’il a
Sont pas celles de sa géologie.
Au lieu de dire sable ou grands espaces de plaine,
Désert ou toundra, d’autres mots nous viennent
Dessiner s’en va en courbes et projections
On ne sait plus ce qu’on voit, on ne sait plus
Ce qu’on a vu.
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Le paysage disparaît dès qu’on le figure :
Tu regardes quelques grands arbres peints
Des pans de montagne, des carrés d’orge ou de froment
Et tu dis seulement
Ah, c’est un Corot, un Cézanne, un Breughel.
Formes et couleurs sont devenues surtout
Des manière de peindre et d’arranger les motifs :
L’œil s’en va dans un rêve du Lorrain, s’oublie
Dans un jardin de Matisse ou de Bioulès.
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Écrire un paysage ça n’est pas le photographier
Pas le peindre non plus, ni même le décrire
Écrire un paysage on ne sait pas trop
Ce que cela veut dire. Le ruisseau de Cougoulet
Qui s’en allait par les prés
Frais sorti de sa source fontaine
Si je l’écris en disant ces mots ? S’il me les donne ?
Juste à côté les groseilliers de l’enclos à Gustave.
Le bleu du ciel jusqu’à toucher tant de vert.
S’il y a du vent ? Et le nœud de vipères
Que le père a mis un coup de fusil dedans.
Écrire un paysage c’est peut-être l’entendre
Et savoir qu’on l’a vu, ou même
Savoir qu’on le voit, pourtant
On ne voit que de l’encre
On n’entend que des mots.
James Sacré, Broussaille de bleus, cool. L’Orpiment, Le Réalgar, dessins de Jacquie Barral, 2021, 60 p., 12€, pp. 31-34