Par Noëlle Lenoir
La Commission européenne a finalement adressé à la Bulgarie et à la Roumanie un avertissement en leur demandant de lutter plus efficacement contre la corruption. Elle a même décidé de sanctionner la Bulgarie en la privant de quelque 800 millions d'euros retirés du programme PHARE (instrument de préadhésion destiné à aider les pays d'Europe centrale et orientale à intégrer l'acquis communautaire et à adapter leur industrie au nouveau contexte du marché)
La sanction aurait pu être plus sévère. La Commission européenne ne touche pas aux fonds structurels, en effet, tels que les fonds de cohésion qui sont indispensables à la réalisation des infrastructures dont les pays entrants ont besoin pour rattraper leur retard de développement. Mais cette sanction a une très grande portée politique. Dans son rapport du 23 juillet 2008 "sur les progrès réalisés par la Bulgarie au titre du mécanisme de coopération et de vérification", la Commission rappelle que les fonds communautaires "sont l'expression concrète de la solidarité de l'Union envers la Bulgarie" et qu'"il est de l'intérêt de tous qu'ils servent à aider les régions les plus défavorisées de ce pays".
J'ai beaucoup milité, lorsque j'étais au gouvernement entre 2002 et 2004, en faveur de l'accession à l'Union tant de la Roumanie que de la Bulgarie. Sortis d'une longue période d'autoritarisme particulièrement marqué, ces deux pays, devenus membres de l'UE en 2007, étaient moins bien préparés que d'autres ex-satellites de l'URSS (ou Républiques soviétiques, si l'on parle des Pays Baltes) ayant réintégré la famille des démocraties européennes dès 2004. Mais leur permettre d'adhérer à l'Union sans trop de retard par rapport aux autres, pensais-je, étaient une bonne façon d'aider leurs nouveaux gouvernants à traverser la nécessaire période de transition que vivent ces pays.
L'Union européenne ne peut survivre que si elle reste un espace de droit et de solidarité
L'Union européenne est avant tout un espace de droit et de solidarité. C'est un espace de droit car les législations communautaires - le fameux "acquis" que les nouveaux entrants ont du intégrer pour avoir le droit de frapper à la porte de l'Europe - sont autant de règles communes qui conditionnent le vivre ensemble des Européens. L'Union est également un espace de solidarité dans la mesure où la presque totalité du budget communautaire (80% environ) est destiné à redistribuer des aides financières que ce soit au titre de la Politique agricole commune (PAC) ou de la politique régionale (Fonds structurels)
Seulement, et c'est là que le bât blesse, le respect des règles de droit et celui des principes de bonne gestion financière et de solidarité qui fondent l'attribution des fonds communautaires dépendent presque entièrement des Etats, de leur volonté et de leur capacité à assurer l'application des décisions prises à Bruxelles ou à Strasbourg. Or tous les Etats ne sont pas armés de la même manière.
Le rapport sur la Bulgarie a été édulcoré avant d'être rendu public. Pourtant, il est clair que la Commission européenne met en cause la collusion qui existe entre l'appareil d'Etat, judiciaire, administratif et policier et les milieux de la criminalité organisée.
Je me souviens d'avoir interviewé sur BFM radio l'ancien roi en exil, rentré en Bulgarie pour y devenir Premier ministre en 2001, Siméon II de Saxe Cobourg Gotha , une personnalité pour laquelle j'ai une grande estime. L'interview a eu lieu, je crois en 2006. Il s'est très bien passé, mais lorsque j'ai évoqué le tout récent assassinat à Sofia d'un banquier réputé pour ne pas avoir cédé aux mafias, j'ai senti que le sujet était plus que sensible. Il était difficile en effet pour l'ancien dirigeant d'admettre les difficultés de son pays au moment critique de son adhésion à l'Union européenne.
Je me rappelle également une de mes visites en Bulgarie en 2003 et en particulier ma rencontre avec le ministre de la Justice de l'époque qui cherchait à venir à bout d'un système judiciaire ne correspondant nullement aux critères de l'état de droit. Les juges de la Cour de cassation s'étaient rebellés contre une réforme constitutionnelle, l'attaquant devant la Cour constitutionnelle, au motif qu'elle supprimait leur immunité pénale, notamment pour fait de corruption !
L'Europe, et non pas seulement les États, doit se donner les moyens d'enrayer la montée de la corruption.
La Bulgarie est un magnifique pays dont les élites intellectuelles sont brillantes. Les voyages que j'y ai effectués ont été de ce point de vue des plus enrichissants. Mais la montée de la corruption, là comme ailleurs, n'y est pas supportable.
Je crains cependant qu'elle ne soit que la partie émergée d'un immense iceberg qui a atteint le continent européen. Car c'est dans tous les pays que l'on constate la montée d'un des fléaux les plus terribles de ce siècle mondialisé. L'ouverture des frontières, la rapidité des transformations économiques et sociales, le perfectionnement de l'organisation des réseaux mafieux qui savent très bien utiliser les moyens les plus sophistiqués au bénéfice de leurs activités coupables, la faiblesse de certains Etats, tout contribue au phénomène.
L'une de ses manifestations est la fraude à la TVA intra-communautaire. Elle a pris en trois ou quatre ans une dimension considérable. La Présidence française de l'Union européenne a fait du combat contre cette fraude l'une de ses priorités en proposant un système de coopération entre administrations fiscales nationales, dit "Eurofisc". Eric Woerth est d'ailleurs venu devant le Cercle des Européens pour en présenter le mécanisme.
Il faut aller plus loin à deux niveaux :
- D'une part, il est temps de songer sérieusement à la création de structures communautaires répressives, telles que le Procureur européen chargé de poursuivre les délinquants ayant attenté aux intérêts financiers de l'Union. [1]
- D'autre part, il serait utile à mon avis de confier des pouvoirs de surveillance et de contrôle aux représentations de la Commission dans les différents pays de sorte qu'elles puissent alerter s'il y a lieu l'OLAF. Chargé de réaliser des enquêtes, l'Office pourrait en particulier aider à appréhender les réseaux qui font du détournement des fonds communautaires leur spécialité.
Les aides au développement consenties à des pays ou des régions en dehors de l'Union devraient, elles aussi, être mieux contrôlées. Est-il normal que celles attribuées au Kosovo ou à l'Autorité palestinienne par exemple n'arrivent pas toutes, loin de là, à leur correcte destination ? La corruption est une gangrène qui finit par tuer le corps malade. Il est urgent que l'Europe se soigne.
Noëlle LENOIR
(Présidente du Cercle des Européens)
[1] L'idée ancienne d'un parquet européen avait été relancé par la Commission européenne, lors de la Conférence intergouvernementale de Nice de décembre 2000. Il s'agissait de créer un procureur européen indépendant, chargé de la protection des intérêts financiers de la Communauté à partir de la création d'un office dénommé Eurojust. Non retenue par les États membres dans le traité de Nice, cette idée fut remise au centre des débats menés par la Convention sur l'avenir de l'Europe. Le Traité constitutionnel rendait possible la création d'un parquet européen à partir d'Eurojust par une décision prise à l'unanimité.
Le traité de Lisbonne reprend cette possibilité d'instituer, par une décision prise à l'unanimité après approbation du Parlement européen, un Parquet européen à partir d'Eurojust. Il serait compétent pour rechercher, poursuivre et renvoyer en jugement les auteurs et complices d'infractions portant atteinte aux intérêts financiers de l'Union. Le Parquet européen pourra exercer devant les juridictions compétentes des États membres l'action publique relative à ces infractions. A défaut d'accord entre les Etats, le traité prévoit la possibilité pour un groupe d'au moins neuf Etats membres d'instaurer une coopération renforcée pour instituer le Parquet européen.
Le traité prévoit la possibilité pour le Conseil d'étendre la compétence du Parquet européen à la lutte contre la criminalité grave ayant une dimension transnationale par une décision prise à l'unanimité après approbation du Parlement européen et après consultation de la Commission.)
NDLR
Relatio-Europe (avec le Cercle Relatio) et Le Cercle des Européens, présidé par Noëlle LENOIR, viennent de conclure un partenariat éditorial et associatif. Cette première chronique de Noëlle LENOIR publiée par Relatio-Europe est l'éditorial du 27 juillet du Cercle des Europens. L'ancienne ministre des affaire européennes anime également le blog "Europe" de l'Express. Ce qu'est le Cercle des Européens
Le Cercle des Européens, créé en 2004, a pour objet statutaire de promouvoir des débats et rencontres sur l'Europe en tant que grand marché et continent porteur de civilisation. Il réunit des responsables d'entreprises auxquels se joignent des personnalités du monde politique, social et académique.Les membres du Cercle ont la commune conviction que la maîtrise de notre avenir à nous Européens, dans un monde en plein bouleversement, passe par une Europe forte, apte à affronter la compétition internationale, et solidaire. Le but premier du Cercle est ainsi d'être présent dans le débat sur l'Europe qui, même lorsqu'il n'apparaît pas au premier plan de l'actualité, est en filigrane de tous les sujets d'importance pour la société française.
Le Cercle se veut également un lieu d'échange et de dialogue. Il organise pour ses membres des rencontres thématiques, en partenariat avec l'hebdomadaire l'Express, autour de personnalités marquantes de la scène européenne et mondiale qui font part de leur expérience propre et débattent librement de leur parcours et de leurs idées, ainsi que de leurs activités en Europe.
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Enfin, le Cercle des Européens participe au "HEC Europe's Symposium" qu'organise chaque année l'Institut de l'Europe d'HEC autour d'un comité de sages réunis pour dégager les priorités européennes du moment.
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