Il est toujours excitant d'assister à une création mondiale comme c'est le cas pour Les Raisins de la colère à La Luna.Depuis le film de John Ford en 1940 avec Henry Fonda, réalisé du vivant de John Steinbeck, jamais les ayants droits de John Steinbeck n’ont autorisé la moindre adaptation complète de ce roman au cinéma ou au théâtre.Trois ans d’efforts tenaces et de discussions ont permis de vaincre toutes les appréhensions et de franchir des obstacles incroyables pour parvenir à présenter une adaptation de ce roman sur une scène française. Première mondiale donc !Après avoir adapté en 2011 L’Or de Blaise Cendrars, qui décrivait l’authentique odyssée du suisse, Johann August Suter, vers les Etats Unis naissants du XIXème siècle, Jean-Jacques Milteau (pour la direction musicale) et Xavier Simonin (pour le texte et la mise en scène) ont voulu se pencher sur le chef d’oeuvre de Steinbeck évoquant les Etats Unis du XXème siècle et la grande migration interne du Dust Bowl vers la Californie.L’histoire commence dans le noir absolu pour permettre aux spectateurs de mieux imaginer le cadre que la famille Joan va devoir abandonner. Les terres rouges et les sombres terres grises de leur ferme située en Oklahoma, sont devenues vertes au printemps lorsque le maïs a poussé. Mais la férocité du soleil et la violence des orages a compromis les récoltes et le sol n’est plus que poussière. Les terres sont justes bonnes à être convoitées par les grandes firmes bancaires qui y feront de la culture intensive et mécanisée. Que peuvent faire les fermiers ruinés ?La lumière montera doucement, ainsi que la musique, et le public impuissant assistera à leur exode en suivant la route 66, la grande route de la fuite et des migrations vers une terre soit disant promise, qui ne révèlera que désillusions et exploitation économique et humaine. Vont alors se succéder des épisodes de générosité et de mesquinerie, de fol espoir à l’évocation de cueillir un fruit juteux pou apaiser sa faim, d’amour et de résignation … jusqu’à ce que se rompe le fil mince séparant la faim de la colère.
Xavier Simonin occupe la position du conteur. Il est en connivence réciproque avec les trois musiciens qui sont sur la scène et qui expriment beaucoup d’émotions avec leurs attitudes muettes, … et leur musique. L’harmonie est parfaite entre eux quatre. Les musiciens ont une présence très juste. Stephen Harrison (contrebasse, violon et chant), Claire Nivard (guitare et chant) et Glen Arzel (multiples-instrumentiste et chant) qui jouera en alternance avec Manu Bertrand, ne sont pas que des exécutants mais de vrais personnages. Ils portent d’ailleurs des costumes (d’Aurore Popineau) qui rappellent l’époque.Les effets d’échos avec les enjeux actuels sont saisissants de prémonition et tendent un miroir fulgurant sur notre époque. Il est déjà question de désastre écologique, de crise économique, de violence sociale et bien sûr de migration. Cette pièce est tristement d’actualité même si le travail des artistes transcende le drame en un superbe cantique.Quelques objets suffisent à camper le décor. Les lumières sont sobres et précises. On est presque dans une ambiance de feu de camp qui convient au propos. Une seule chose m’a dérangée, la sonorisation du comédien qui me semble excessive pour une salle aussi modeste que celle de la Luna. Est-ce pour lui permettre de soutenir sa voix lorsque jouent les musiciens ? Toujours est-il qu’il prend parfois des intonations « anormales », trop fortes et comme dématérialisées puisque le son ne semble pas sortir de son corps. Et les effets d’écho sont un peu trop puissants, lui faisant alors perdre l’humanité de sa position de conteur.Article extrait d’une publication intitulée "Avignon Thelonius et Lola, Josef Josef et les spectacles vus le 19 juillet aux Halles, à la Chartreuse et à la Luna".