Festival de Bayreuth —Tristan et Isolde pour les enfants dans une distribution de premier plan

Publié le 06 août 2021 par Luc-Henri Roger @munichandco

Le roi Marke,  Tristan, Isolde, Melot, Kurwenal et Brangäne

 Le festival de Bayreuth monte depuis plusieurs années un opéra pour enfants dans le cadre de son projet Wagner für Kinder (Wagner pour les enfants). Cette année, le festival a présenté une version réduite de Tristan et Isolde de Richard Wagner adaptée au public enfantin, conçue conjointement par Katharina Wagner, Markus Latsch et Dennis Krauß. Marko Zdralek en a composé l'arrangement musical. Comme les années précédentes, la musique fut interprétée par l'orchestre d'État brandebourgeois de Francfort- sur-Oder. Dix représentations ont été organisées entre le 25 juillet 2021 et le 4 août au coeur même de la ville de Bayreuth, à la Kulturbühne Reichshof, une salle de spectacles située sur la Maximilianstrasse. L'opéra pour enfants s'adresse aux enfants âgés de 8 à 12 ans. La dernière représentation a ainsi accueilli une classe d'un lycée bayreuthois qui a pour particularité de proposer, en plus d'un cours de musique,  une heure hebdomadaire au cours de laquelle les élèves s'initient par groupes de deux ou trois à la pratique d'un instrument. 

Brangäne : La mort ou l'amour?

La réécriture de l'opéra et la mise en scène de Dennis Krauß ont été conçues de manière à éveiller la curiosité des enfants et à leur transmettre le goût du spectacle vivant, de la musique et du chant. Le spectacle est introduit par le Roi Marke, — interprété par Jens-Erik Aasbø, une grande basse scandinave qui a déjà plusieurs rôles wagnériens à son actif et est connu pour l'excellence de son jeu de scène : il s'adresse directement au jeune public pendant l'ouverture en lui demandant s'il sait combien il est difficile d'être roi. Les enfants, s'ils se sentent sans doute interpellés, ne répondent pas. Plus tard, Brangäne (Simone Schröder, bien connue des festivaliers pour ses nombreuses participations bayreuthoises) interroge à son tour le public pour l'aider à prendre une décision délicate : "Faut-il vraiment que je leur administre le philtre qui donne la mort ? ". La réponse va de soi, on ne veut la mort de personne et ensuite qui voudrait voir l'opéra se terminer si tôt ? Dans la version jeune public, le roi Marke voudra encore que les enfants lui disent si Tristan peut rester son ami malgré sa trahison. Mais Brangäne lui avouera sa culpabilité dans l'affaire, c'est elle qui a indirectement provoqué cette trahison en versant le philtre d'amour dans les coupes qu'Isolde imaginait contenir le poison fatal. Marke se montre alors plein de grandeur d'âme et magnanime : il accorde son pardon à  Tristan.

Happy end dans le royaume des ombres


La mise en scène traite la passion de Tristan et Isolde dans la joie : quand ils ont bu le filtre, un coup de canon souligne le coup de foudre et des centaines de petits coeurs de papier glacé rouge sont projetés en l'air pour venir retomber sur les amoureux et les spectateurs des premiers rangs. Les deux amoureux s'embrassent et entament un pas de danse. Les costumes de contes de fées (pour lesquels un concours d'esquisses avait été organisé à Duisburg) participent eux aussi des féeries enfantines. Bien sûr, il faut bien que Tristan et Isolde meurent à la fin de l'opéra, mais leur amour est éternel et au final on les voit réunis sous la forme de  grandes ombres chinoises. Et les décors de Johanna Meyer semblent découpés dans un livre pour enfants : le mât d'un navire, la cabine d'Isolde avec son bar aux boissons colorées, la tour d'une forteresse.
La production est une belle réussite sur le plan musical. C'est un des plus célèbres ténors wagnériens qui interprète Tristan. Excusez du peu, rien moins que le célébrissime Stephen Gould qui avec sa bonhomie et sa générosité coutumières a accepté cette prise de rôle pour jeune public ! En entrant dans la salle de spectacle, on eut encore un moment le plaisir de reconnaître sa belle voix au timbre si caractéristique qui s'échauffait en lançant quelques vocalises. Soulignons qu'il chante aussi le Tannhäuser aux côtés de Lise Davidsen. Certains jours, l'amoureux ensorcelé de 11 heures du matin remonte à quatre heures sur la scène du Festspielhaus pour interpréter les hésitations du Minnesänger partagé entre la passion charnelle et l'amour platonique. Kelly God a chanté sa première Isolde à Hannovre il y a trois ans, et reprit le rôle à Bruxelles et à Amsterdam. Elle fait cette année ses débuts bayreuthois en Helmwige dans la Walkyrie. Dans ce Tristan qui ne dure qu'une heure et cinq minutes, elle offre au jeune public l'intégrale du Liedestod, un pur bonheur pour petits et grands. Le baryton Kay Stiefermann, qui avait débuté au festival de Bayreuth en 2015 avec la phrase unique du Steuremann dans Tristan et avait la même année enchanté le jeune public avec son Klingsor du Parsifal für Kinder,  donne un excellent Kurwenal d'une voix puissante, chaude et profonde, bien placée et dotée d'une remarquable projection. Enfin Martin Homrich, qui chante cette année également dans Parsifal et les Meistersinger apporte les beautés de son ténor héroïque à Melot. Tous ces chanteurs ont apporté un soin particulier à chanter avec une articulation parfaite qui a permis au jeune public de pouvoir aisément comprendre le texte.
Il convient de saluer pleinement l'initiative pédagogique des organisateurs du festival qui offre aux enfants une mise en scène soignée, intelligemment adaptée, et l'engagement de ces grands chanteurs et chanteuses qui offrent au jeune public le meilleur de leur savoir-faire. Chapeau bas !
Crédit photographique © Enrico Nawrath / Bayreuther Festspiele