Louise Farrenc, une compositrice méconnue

Publié le 06 août 2021 par Podcastjournal @Podcast_Journal
Lorsqu’il est question de compositrices, on ne manque jamais d’évoquer trois femmes talentueuses qui n’ont pu s’épanouir librement dans ce rôle, Clara Schumann, Fanny Mendelssohn et Alma Mahler. On a retenu ces trois noms alors qu’elles ont été légion à s’être effacées devant la volonté d’un mari, d’un père ou d’un frère et les règles de la société qui soutenait que ce n’était pas là le rôle d’une femme… Et si l’on en croit la soprano brésilienne Gabriella Di Laccio, elles seraient plus de 5.000 recensées par la base de données "Donne – Women in music" qu’elle a créée. On se souvient de quelques-unes dont Hildegard von Bingen au XIIe siècle canonisée en 2012 par Benoit XVI et déclarée "docteur de l’Église", au XVIe siècle, Maddalena Casulana fut la première femme à se déclarer compositrice et au XVIIIe, Hélène de Mongeroult est répertoriée comme premier "professeur femme" au Conservatoire de Paris.

Clara Wieck, née le 13 septembre 1819 à Leipzig, est une pianiste émérite qui donne de nombreux concerts et compose. A cette époque, l'idée que des femmes puissent composer paraît difficilement concevable. Au début du XXe encore, Le Figaro évoque cette "nouvelle marée montante de professionnelles". Et de poursuivre "La phalange des femmes compositeurs augmente chaque année dans des proportions inquiétantes; on ne rencontre plus, hélas! de musicienne qui n'ait d'inspiration - beaucoup d'inspiration - et un lot de manuscrits à placer!". Mariée en 1840 avec Robert Schumann, Clara aura sept enfants en treize ans et mettra naturellement sa vie musicale en veilleuse. S’y ajoutera la maladie de son mari, puis elle est veuve à 37 ans. Elle se consacrera alors à la promotion des œuvres du défunt. Elle laisse cependant une quarantaine d'œuvres et l’on a remarqué que son mari n’avait pas hésité à utiliser plusieurs de ses thèmes…

Fanny Mendelssohn sera elle aussi dans l'ombre d'un illustre compositeur, son frère cadet Felix Mendelssohn Bartholdy. Elle est née le 14 novembre 1805 à Hambourg, dans une famille fortunée et a reçu une très bonne éducation musicale avec sa mère puis des professeurs et elle compose ses premiers lieder à 14 ans. Le dimanche après-midi, elle exerce ses talents lors de petits salons musicaux chez ses parents à Berlin. Elle fréquentera Heine, Eichendorff ou Goethe et mettra leurs œuvres en musique mais son père et son frère l’empêcheront de se consacrer à la composition. Son père lui écrit "La musique deviendra peut-être pour lui (son frère Felix) une profession, pour toi elle restera un art d'agrément; tu ne saurais la considérer comme le but de ta vie et de tes aspirations. Il est permis à Félix d'avoir l'ambition de faire connaître son talent, dont le succès importe à l'avenir. Mais, toi mon enfant, renonce à des triomphes qui ne conviennent pas à ton sexe et cède la place à ton frère". Elle se marie avec le peintre Wilhelm Hensel qui ne l’empêchera ni de jouer et ni de publier ses œuvres. Elle acquiert une certaine célébrité, Berlioz et Gounod la décriront comme "une musicienne inoubliable, excellente pianiste … femme d’une intelligence supérieure". Elle écrira plus de 250 lieder et une centaine de pièces pour piano. Son œuvre sombrera dans l’oubli, cependant quelques-unes paraîtront sous le nom de son frère.

Alma Schindler était née le 31 juillet 1879 à Vienne, dans une famille liée à tout ce qui comptait alors dans le monde artistique. Elle compose très jeune et rencontre Gustav Mahler son aîné de vingt ans, alors directeur de l’Opéra de Vienne. ll ne tarde pas à lui faire connaître ce qu'il attend d'elle dans une célèbre lettre d’une vingtaine de pages "tu n'as qu'une profession, c'est de me rendre heureux". Il lui demande de choisir entre sa vie de compositrice et celle d'épouse et pense que la vocation musicale d’Alma, qui lui paraît surfaite, pourrait créer une rivalité "dégradante pour [eux] deux". Elle renonce à ses compositions et en souffrira cruellement pendant les dix années de son mariage, et vivra au rythme du grand musicien. Lui aussi utilisera certains thèmes des lieder composés par Alma avant son mariage.

C’est aussi l’époque où Saint-Saëns pouvait déclarer à propos d’une compositrice, une certaine Mélanie Bonnis "Je n’aurais jamais pensé qu’une femme soit capable de composer ainsi".  Louise Farrenc est l’une des rares compositrices de son époque à avoir reçu une formation musicale équivalente à celle dispensée aux élèves masculins du Conservatoire de Paris. Elle était née Louise Dumont à Paris le 31 mai 1804 dans une famille d’artistes. Elle reçoit une excellente éducation musicale et étudie au Conservatoire de Paris. En 1821, elle épouse le flûtiste, compositeur et éditeur de musique Aristide Farrenc de dix ans son aîné. Il la soutiendra et éditera ses partitions. Elle aura bien besoin de ces encouragements car elle est très timide, ce qui ne l’empêchera pas d’enseigner où elle a elle-même étudié, le Conservatoire national de Paris. Elle y a été nommée en 1842, la même année elle était devenue professeur de piano de la duchesse d'Orléans. C’était le première femme depuis Hélène de Montgeroult à occuper un tel poste, elle y restera jusqu’en 1872. Cependant, elle est un peu moins bien payée que ses collègues masculins, et malgré sa réserve naturelle, elle se plaint auprès de la direction, avec succès. Outre la question du profit, elle fait remarquer qu’on pourrait croire qu’elle est moins compétente…

En 1826, le couple aura une fille, Victorine, qui étudiera dans la classe de sa mère et sera une excellente pianiste mais décédera de tuberculose en 1858. En 1842, Louise Farrenc compose une Première symphonie, en ut mineur, op 32. En 1845, ce sera la Deuxième Symphonie en ré majeur, op. 35. Elle et son mari projettent de préparer une importante anthologie de musique pour piano en 23 volumes recouvrant le répertoire du XVIe au milieu du XIXe siècle, Le Trésor des pianistes. Elle l’achèvera seule après la mort d'Aristide Farrenc en 1865. Sa Troisième Symphonie op. 36 en sol mineur, Adagio — Allegro, Adagio cantabile, Scherzo. Vivace, Finale — Allegro, composée en fut créée par l'orchestre de la Société des Concerts du Conservatoire en 1849. Dans la revue hebdomadaire "La France Musicale" du 22 avril de cette année, on peut lire "J’ai été étonné, je l'avoue, de trouver dans cette oeuvre, parfaitement conçue, une facture, un style de maître. La symphonie de Mme Farrenc peut être mise au rang des bonnes compositions instrumentales". Et encore "Il est rare de trouver chez les femmes autant de vigueur et d'intelligence dans la combinaison des effets. On aurait pu, peut-être, désirer un peu moins de réminiscences beethoviennes (sic) dans les motifs, mais ne soyons pas trop exigeants". Quant à la Revue et Gazette musicale du 29 avril 1849, elle note "La symphonie en sol mineur de Mme Farrenc est un ouvrage bien pensé, bien écrit… Si les tournures mélodiques en sont d'une élégance un peu rétrospective, elles n'en plaisent pas moins… ". En 1861 et en 1869, Louise Farrenc reçoit le Prix Chartier de l'Académie des Beaux-Arts. Elle a été admirée par Schumann et Berlioz. À l’époque, on a dit qu’elle "compose comme un homme"… Elle meurt le 15 septembre 1875 et est inhumée au cimetière du Montparnasse. Rédaction internationale En savoir plus sur cet auteur Nous savons tous que le droit de vote est à la base de notre système démocratique auquel d’ailleurs, beaucoup aiment ajouter l’adjectif «républicain». Nous savons tous aussi que bon nombre de nos aïeux ont accepté de mourir pour l’établir et le... LES BRÈVES