J’ai trouvé ces trois poèmes dans l’anthologie « Je suis nombreuses », sous-titré « Quinze poètes géorgiennes », parue aux éditions de l’Inventaire en janvier 2021 dans une traduction de Boris Bachana Chabradzé.
Textes presque toujours féministes, ou sur des thèmes liés aux problèmes des femmes, au sexisme sous toutes ses formes.
Il est maintenant de bon ton pour les éditeurs de réunir en un seul recueil quelques poètes femmes pour composer une anthologie féministe, au point qu’on se demande si les femmes ont actuellement le droit d’être publiées si elles écrivent sur un autre sujet que leur féminité, ou si les hommes continuent à être les seuls à pouvoir écrire sur TOUT, à être libres de leurs thèmes et points de vue.
C’est très spécial. Et contradictoire.
Mais je ne vais pas épiloguer plus longtemps.
Voici trois de ces poèmes, que j’ai sélectionnés selon mes goûts, cela va sans dire.
Rusudan Kaishauri (née en 1957)
Ma grand-mère
Ma grand-mère regardait l’éclosion des roses
Comme une série pornographique.
Elle diminuait
Comme une pelote de fil blanc,
Tandis que je me tricotais avec des épines de rose.
Grand-mère est maintenant dispersée dans mes poèmes.
Elle se cache dans les mille plis
De ma robe
Et se pelotonne
Dans mes colliers de perles.
Des cheveux blancs ont déjà jailli
De ma tête,
C’est là
Que grand-mère se cachera le mieux.
**
Irma Shiolashvili (née en 1974, vit en Allemagne)
page 34
A mes amies afghanes
J’aimerais parler des filles afghanes
De mes amies afghanes voilées,
De celles qui sont nées à Kaboul
Et qui dès leur plus tendre enfance, ont vu leur père les pointer du doigt :
« Vous êtes femmes, taisez-vous donc ! »
Cela se reflète dans leurs yeux et quand elles me regardent,
J’y vois les petites filles désespérées !
Quand elles me regardent, je vois comme elles envient
Mon audace géorgienne et ma liberté allemande,
Ma coiffure coquette
Et mes robes taillées près du corps…
Parfois je me dis que je ressemble à leurs rêves,
Parfois – au chagrin de leurs rêves non exaucés,
Très profond et sensible.
**
Nato Ingorokva (née en 1969)
page 101
Sans Mots
« Ce sont justement les mots qui ont causé la première fissure » Mark Strand
C’est mon meilleur poème,
Dedans, il y a tous les mots
Que je devais dire et que je n’ai pas écrits.
C’est un de ces poèmes
Que l’on oublie aussitôt lus
Et dont même le titre ne reste pas en mémoire.
Il est le refuge de tous les mots laissés de côté.
Les lignes – à usage unique.
La musique a abandonné les mots
Il n’en reste que l’écho.
Dedans, il y a tous les mots
Que j’ai trouvés et perdus.
C’est un poème sans mots.
Le sujet principal
S’est couvert de la poussière des pensées secondaires
Et s’est caché entre les lignes.
Si vous y trébuchez
Ou si vous les rencontrez quelque part,
Ne me les retournez pas –
Ils vont aux destinataires.