Le public avignonnais était très chanceux d’avoir accès aux meilleures pièces de théâtre. Mais les parisiens ne sont pas à plaindre. Même en ce moment il y a des spectacles qui sont des valeurs sûres comme Une histoire d’amour que vous pourrez voir tout l’été à la Scala
C’est Alexis Michalik qui l’a écrite et comme tout ce qu’il entreprend depuis déjà un bon moment le succès fut immédiat. On l’adore parce qu’il se renouvelle à chaque nouvelle aventure sans répéter les ingrédients qui ont fait mouche la fois précédente.
L’homme totalise tout de même 11 Molières même s’il donne un chiffre plus modeste en se limitant aux récompenses le qualifiant de meilleur auteur francophone vivant ou de meilleur metteur en scène.
On lui doit Le porteur d'histoire en 2011, Le cercle des illusionnistes en 2014, Edmond en 2016 et Intra-muros en 2017, qui tournent toutes. Une histoire d'amour, a été créée à la Scala le 11 septembre dernier.
On pourrait le qualifier de magicien et estimer qu’il y a un truc. Evidemment le talent et le travail. Et puis sans doute un art de la troupe car il n’y a pas de star sur la scène. Même s’il joue lui-même dans une de ses pièces il n’est qu’un interprète au service du texte, lequel peut fort bien être servi par un autre acteur. Les comédiens sont totalement investis, manipulant les éléments de décor entre les scènes, et à vue, interprétant les rôles secondaires en plus du leur. Cela donne une cohésion incroyable renforcé par le rythme d’un scénario dont les scènes s’enchaînent vite.
Alexis Michalik jouait le rôle William à la création. C’était Paul Lapierre qui l’interprétait ce soir et franchement il n’y avait aucune raison d’être déçue. La distribution était excellente et tous ont été longuement salués par un public totalement conquis par Stéphanie Caillol (Justine), Alexia Giordano (Claire), Julia Le Faou (Katia) et Lior Chabbat (Jeanne) qui à quatorze ans promet d’être une formidable actrice.
Il n’est pas vraiment nécessaire de donner l’essentiel du résumé. On va voir un Michalik comme on irait voir un Molière, un Feydeau ou un Tchekhov, quoique la capacité de renouvellement de l’auteur soit assez exceptionnelle. J’ai remarqué l’importance de la littérature et de l’écriture dans la construction de la jeune Jeanne. C’est peut-être un des traits communs entre toutes les pièces de cet auteur qui, à première vue, semblent très différentes les unes des autres.
Et il y a fort à parier que la prochaine, en janvier 2021, sera surprenante. Il a déjà annoncé qu’il allait mettre en scène le mythique show de Broadway, "Les producteurs", d’après Mel Brooks, jusqu’à maintenant jamais monté en France et dont il travaille déjà à l’adaptation. Il devrait être créé au Théâtre de Paris, ce qui confirme qu’Alexis Michalik peut investir tous les lieux parisiens, sans être attaché à l’un d’entre eux en particulier.
Je n’ai pas envie de spoiler cette histoire d’amour qui est largement plurielle car le thème est traité sous de multiples facettes, l’amour passion, l’amour fraternel, l’amour maternel et qui interroge aussi sur la paternité quand elle n’est pas biologique.
Qui mieux que Charles Aznavour aura chanté les sentiments sous toutes leurs formes ? Voilà pourquoi chaque personnage reconnaît face au public que quoi qu’il soit arrivé elle/il n’aura aimé que toi, en le chantant a capella, au centre du rectangle définissant l’aire de jeu. Et pourtant résonne comme un avertissement du désamour à venir avec une infinie tendresse.L’histoire peut commencer et il est intéressant de savoir qu’elle démarre il y a quinze ans quand l’homosexualité était loin d’être acceptée et que deux femmes n’avaient pas le droit d’avoir un enfant reconnu d’elles deux. On est dans le mélodrame (au sens noble du terme) contemporain. C’est sans doute le plus intime des spectacles d’Alexis Michalik. Préparez vos mouchoirs. Vous allez pleurer. Rire aussi.
L’amour aurait un début, parfois flamboyant, inattendu, exaltant, et puis une fin, qu’elle soit le fait de l’un des deux ou imposé par le destin. Le spectateur est surpris souvent car il ne s’attend pas aux multiples rebondissements et à de jolies trouvailles scéniques, extrêmement poétiques (voilà pourquoi je ne veux pas raconter l’essentiel du scénario). Je dirais juste que l’art de l’auteur est d’écrire des dialogues honnêtes qui ne condamnent aucun des comportements. Comme le dira Justine : On fait tous des promesses qu’on peut pas tenir.
La narration est ponctuée de chansons que l’on connait tous : Don’t go breaking my heart (Elton John), Can't Help Falling In Love, le grand succès d’Elvis Presley en 1961, qui est une variation de Plaisir d’amour (1785 - Paroles de Jean-Pierre Claris de Florian, musique de Jean-Paul-Égide Martini) qui fut interprété par plus d’une centaine d’artistes) dont on entendra aussi un extrait.
Tout en signant un théâtre populaire, Alexis Michalik assume qu’amour ne rime pas avec toujours, et que les sentiments ne vont pas de soi. On se reconnaît tous dans un morceau de cette histoire. Et c’est très fort d’avoir réussi à instiller autant d’humour et de rire dans ce qui aurait été un pur drame sous d’autres plumes.On passe une belle soirée dans ce joli théâtre bleu nuit. N’oubliez pas de regarder avant ou après le spectacle, l’installation de l’artiste iranienne Helika Hedayat, qui est le fauteuil d’artiste #6.
Son titre, Abyssal, lui a été inspiré par le parallèle qu’elle fait entre notre monde et le cosmos, à travers sa perception du corps humain. Elle a imaginé une installation triptyque qui inclut deux vidéos loops de 30 à 40 secondes qui sont projetées en boucle chacun des murs qui se trouvent de part et d’autre du fauteuil, lequel est placé devant un dessin représentant une connexion de neurones (photo ci-dessous).Trois autres œuvres vidéo sont projetées dans le foyer-restaurant.
Une histoire d’amour d’Alexis Michalik Mis en scène par l’auteurAvec en alternance Clément Aubert, Pauline Bression, Juliette Delacroix et Marie-Camille Soyer ou Stéphanie Caillol, Alexia Giordano, Paul Lapierre et Julia Le Faou, Victoire Brunelle-Rémy, Lior Chabbat, Lila Fernandez, Elisa de Lambert et Léontine d’Oncieu
Décor Juliette AzzopardiDu 20 juillet au 21 août 2021La Scala - 13 boulevard de Strasbourg - 75010 Paris