Certes il a toujours un tempérament très fort mais on réalise dans la pièce écrite par Philippe Bulinge tout ce que sa vie eut de tragique. Que ce soit au plan politique (Je les ai tous vaincus, et vaincus, je les ai tous laissés sur leur trône. Le Russe, Le Prussien, L’Autrichien. Tous. J’ai épousé une archiduchesse autrichienne. Mon fils est à moitié autrichien. Combien de fois les ai-je vaincus ? Et combien de fois leur ai-je tendu la main ? - scène 4) qu’au plan amoureux puisque Joséphine ne pouvant avoir d’enfant il fut contraint d’en épouser une autre.
On a caché ces heures de folie qui, dans la nuit du 12 au 13 avril 1814, ont suivi l’absorption d’un poison avec lequel il tenta de mettre fin à ses jours. A-t-il alors appelé le Général Armand de Caulaincourt, lequel finira par solliciter son médecin personnel ? Les choses se sont-elles déroulées exactement comme l’auteur nous les raconte, peu importe car tout est plausible. Il s’est remarquablement documenté pour publier, aux éditions L’Harmattan, ce Napoléon, la nuit de Fontainebleau, qu’il a sous-titré la tentative de suicide de Napoléon et créer la pièce en cette année du bicentenaire de la mort de Napoléon 1er.
Il avait sans doute une idée très précise de ce dont il voulait rendre compte puisqu’il a décidé de mettre lui-même la pièce en scène, avec le concours de sa femme, Maude, avec laquelle il collabore depuis toujours.
Il a confié le rôle principal à Damien Gouy qui le joue de toutes ses forces, sans jamais s’économiser et qui, bien entendu, est bouleversant. Tu t’es voulu... Dieu ? Une espèce de Dieu à mi-chemin entre le ciel et la terre ?... Et ce soir, tu as froid comme le dernier des hommes. Tu as froid, dans chacun de tes os, jusqu’à la douleur. Plus qu’en Russie. Plus qu’en enfer. - scène 1.
On est en totale compassion avec lui, mais ce n’est pas pour autant qu’on a le sentiment d’assister à l’agonie de Napoléon. Il manque un je ne sais quoi -peut-être des éclairages appropriés- pour qu’on ressente l’intimité du moment et qu’on oublie qu’on est au théâtre. Jouer une heure trente en restant allongé sur un lit est en soi une performance. Il a pour seul costume une chemise de nuit qui flotte autour de lui. La seule trace de sa gloire passée est d’immenses bannières reprenant les noms des batailles. Ce n’est pas ce qu’on imagine comme objets dans la chambre de l’ex-empereur des français.
Par contre Caulaincourt (Loïc Risser) est en costume militaire (magnifique de dignité) malgré l’heure tardive de trois heures du matin. Leur face à face est plutôt surréaliste. On a dit que le général était mesuré. Sans doute ne montrait-il guère ses émotions mais l’impassibilité avec laquelle il considère la situation est désarmante. On peut être respectueux sans afficher une telle distance. Avec quelle lenteur il lui verse un verre d’eau et plus encore lorsqu’il éponge distraitement son front ! On se retient de jeter une couverture sur les épaules de cet homme qui ne cesse de se plaindre d’être glacé.
Il ne s’emporte qu’à un instant, devenant soudain l’homme de confiance qu’il a dû être dans la réalité historique : Mais voilà des semaines, des mois, que je me bats, auprès de tous, contre tous, pour vous obtenir... la vie. Quand tous veulent vous voir mourir... Je n’ai pas ménagé ma peine, sire... La haine du roi de Prusse dépasse l'entendement... On envoie des assassins à Fontainebleau par esprit de vengeance ou pour seulement simplifier les négociations... On fait dormir des soldats dans les couloirs pour vous protéger... Mais malgré tout, j’ai obtenu des engagements précis. Des engagements qui sauvent votre vie.Napoléon : De quelle vie parlez-vous, Caulaincourt ?Caulaincourt, après un long silence : Le fait que je ne vous adule pas, le fait que je ne vous idolâtre pas, ne signifie pas que je ne vous aime pas. Le fait que je ne sois pas comme tous ceux qui vous admirent au point d’avoir les genoux toujours sales, et dont je ne vois plus, ce soir, de trace nulle part, ne signifie pas que je ne vous aime pas. - scène 4.
La pièce est essentiellement un long monologue, nourri des délires d’un homme en proie à des visions. L’analyse à laquelle il se livre est passionnante, mais le flot de paroles la rend ardue à suivre. Le personnage de Caulaincourt aurait pu davantage lui donner la réplique, apporter pour le spectateur des nuances et relancer l’intérêt. Qu’il ne soit pas un inconditionnel de Napoléon aurait pu être un levier pour justifier le renversement de situation. En amenant le spectateur à considérer l’homme derrière le stratège.
Le médecin (Vincent Arnaud), dont on se demande s’il arrivera à temps, est un homme affolé, se sentant autant coupable de négligence que d’incompétence. Il était au service personnel de l’Empereur depuis près de quinze ans et c’est sans doute lui qui lui avait fourni, dès 1812, une première dose de poison car l’Empereur, en cas de défaite, ne voulait pas tomber vivant au mains de ses ennemis. On voit Alexandre-Urbain Yvan hésiter entre deux extrêmes, secourir son patient ou l’aider à en finir. Il finit par s’enfuir, dans une ultime lâcheté ou par remord, persuadé en tout cas que son empereur ne voulait pas réellement mourir. Il parait qu’ils ne se revirent jamais.
Beaucoup de bruit pour rien aurait dit Shakespeare puisque l’empereur aura raté son suicide. Il a avalé un produit ayant dépassé sa date de péremption, ce que le grand homme ne pouvait pas deviner. Il sera quitte d’une mauvaise nuit. L’histoire effacera l’incident. Seuls les spécialistes le commenteront, jetant des hypothèses diverses sur les causes de l’empoisonnement. Napoléon quittera Fontainebleau pour l’île d’Elbe.
Les costumes que Marilyn Fernandez François a conçu pour Caulaincourt et le médecin sont magnifiques. Le mobilier fait sensation.
Jusqu’au 31 juillet 2021 à la Folie Théâtre, 6 rue de la Folie Méricourt - 75011 Paris(mercredi et vendredi à 19h30, jeudi et samedi à 21h00)Du 15 au 17 octobre 2021 à Papeete - Tahiti - Polynésie française.
Le 13 novembre 2021 au Théâtre municipal de La Roche-sur-Yon (85)
Reprise prévue ensuite dans une salle parisienne.