Cette semaine c’est François Caspard, fondateur de l’Alliance Française des Designers, unique syndicat de design en France. Je crois savoir que je n’étais pas le seul à attendre cette interview, et je le remercie donc pour s’être sympathiquement prêté au “jeu”. N’hésitez pas à commenter ou même à poser vos propres questions.
L’Alliance française des designers, premier syndicat professionnel pluridisciplinaire, représente les designers quelles que soient leurs disciplines (produits, espaces, messages) et quels que soient leurs statuts (sociétés, indépendants, salariés). Elle informe et sensibilise aux problématiques rencontrées par les professionnels, accompagne ses membres sur le plan fiscal, social et juridique. En contact permanent avec les organismes professionnels des autres pays européens, l’AFD représente les designers auprès des pouvoirs publics en France et en Europe.
Goanna – À quel moment un designer devrait-il, selon vous, adhérer à l’AFD ?
Dès la sortie de l’école. De façon à structurer sa vie active sur de bonnes bases juridiques et fiscales tout de suite. Malheureusement beaucoup trop viennent quand ils ont déjà un problème et il est parfois trop tard alors qu’on aurait pu l’éviter.
Goanna – Le terme Designer est assez large, ne pensez vous pas que l’AFD peut avoir une image assez réduite d’un groupe plutôt « élitiste » de designers en agence et que les jeunes graphistes freelance ou non ne s’identifient pas à votre action ?
L’esprit de l’AFD est d’être ouvert, en témoigne notre annuaire des membres où vous trouverez un paysage très large de disciplines et de compétences. En société, en collectif ou en indépendant… le choix du statut des membres est motivé par la spécificité du marché, du champ d’activité, du risque financier lié à l’activité et des moyens humains nécessaires. Voici comment ils se décomposent : — les designers d’espaces : architecture commerciale ou d’intérieurs, scénographie, paysagistes… Ils représentent 10 % de nos membres. Statut majoritaire : sociétés. — Des designers de produits : arts de la table, objets, mobilier, textile, mode, industrie… Ils représentent 40 % de nos membres. Statuts : sociétés et indépendants. — Des designers de messages : communication visuelle globale, graphisme, illustration, print, multimédia, web, photo, vidéo… Ils représentent 50 % de nos membres. Statut majoritaire : indépendants.
Goanna – Vous m’aviez confié dernièrement que seulement 1% des designers étaient syndiqués, comment pouvez vous expliquer cela ?
C’est un phénomène très français. La France a inventé le syndicalisme moderne au XXe siècle, mais c’est actuellement une notion en perte de vitesse, pas seulement dans le design. L’AFD est pourtant apolitique, et le syndicat est le seul statut qui soit reconnu par l’État pour défendre une profession. J’admets aussi que, faute de moyens (le budget est constitué des cotisations), l’AFD n’a pas communiqué suffisamment. Nous allons y remédier à la rentrée. Objectif : tout designer en France recevra un courrier dans sa boîte aux lettres d’ici six mois.
Goanna – En général pourquoi ou à quel moment un designer adhère à la AFD ?
Beaucoup de membres le deviennent lorsqu’ils rencontrent une difficulté. Puis ils prennent conscience de l’utilité de s’unir derrière un organisme, qui appartient à tous et qui repose sur le bénévolat. L’AFD a débloqué beaucoup de conflits : paiements en retards, droits d’auteurs non respectés, mise en conformité par rapport à la fiscalité…
Goanna – Dernièrement avec les différents débats sur le crowdsourcing, vous vous êtes vu critiquer sur certaines communautés de graphistes web pour votre manque d’intervention et manque de communication. Qu’en pensez-vous ?
Je comprends les énervements, mais il est impossible de communiquer sur les éléments stratégiques d’une affaire que nous observons depuis plusieurs mois. On a tous une vision simple de la justice. « Nous sommes dans notre droit ». Mais l’application du droit se heurte aux stratégies des avocats, à la compétence des juges et aux moyens financiers… Nous devons évaluer nos chances de gagner si l’on va au procès. Sinon, l’action se retourne contre nous et la profession tout entière. C’est moins spectaculaire, mais peut-être plus intéressant et moins coûteux à long terme que de parier sur l’éducation des jeunes professionnels en les sensibilisant à ne pas répondre à ce genre de sirènes… N’oublions pas que les personnes qui participent au crowdsourcing le font de leur plein gré. D’un point de vue juridique, nous nous heurterons toujours à ce fait.
Goanna – Quelle est la relation entre l’AFD et « l’alliance graphique internationale » ?
Aucune structurellement. L’AFD défend les professionnels sans jugement de valeur artistique, son positionnement est social, juridique et fiscal. L’AGI est un club qui coopte ses membres sur des critères artistiques. Mais les deux organisations valorisent le professionnalisme, c’est ce qui nous a rapprochés au sujet des appels d’offres non rémunérés.
Goanna – D’après vous, aujourd’hui en France, quel est le plus grand danger pour la création ?
En fait, je ne crois pas que ce soit la création qui soit en danger, mais les personnes qui ne se préoccupent pas de déontologie professionnelle. Il y a en France comme ailleurs la nécessité de la création, mais il n’y a pas de place à l’amateurisme. Ors, quand on sort d’une école de design, on doit continuer à se former à la vie active pendant quelques années, 3 à 5 ans, pour faire face à toute la complexité de l’exercice de cette profession. Le problème aujourd’hui est que beaucoup de professionnels deviennent indépendants par dépit et non par projet, parce que les offres d’emploi salarié sont rares. Il existe des mauvais clients mais aussi des bons, le tout est de savoir les reconnaître puis de savoir se faire respecter. C’est alors que l’organisme professionnel peut les aider, car il mutualise les conseils de spécialistes du droit et l’expérience des designers séniors.
Goanna - Comment lutter contre l’exploitation des métiers de la création quand on est face à une telle dévalorisation des métiers créatif de la part des annonceurs ou encore comme dans le cas de l’appel d’offres non rémunéré pour l’identité de la présidence de l’UE ?
Imaginez qu’aucun professionnel ne réponde à ce type d’appel d’offres, imaginez qu’aucun professionnel ne travaille gratuitement… Le marché des appels d’offres publics ne concerne que 16 % du marché global du design. Et si on s’occupait des 84 autres % ? Tout ce système, très français s’écroulerait. C’est un rêve à portée de main. Je crois que c’est d’abord aux professionnels de se prendre en main et de refuser n’importe quoi. L’autre piste est de faire reconnaître un titre DESIGNER reconnu par l’État. C’est un travail humble et long dans lequel l’AFD, aux côtés de ses partenaires en Europe, s’est engagée.
Goanna – Pensez vous qu’il manque une réelle culture du design en France ?
Oui et non… Les pouvoirs publics sont certes très en retard par rapport à des pays voisins (au nord et à l’est de l’Europe…), mais les PMI-PME françaises comprennent de mieux en mieux ce que peut leur apporter le design dans une économie mondialisée.
Goanna – Quels conseils donneriez vous a un jeune designer terminant ses études et entrant dans le monde du travail ?
Adhérer à un organisme professionnel pardi ! Que ce soit à l’AFD ou à un autre, il y trouvera une aide pour construire sa vision stratégique de son métier, indispensable pour réussir dans une profession ultra-compétitive. Et il participera à donner de la visibilité à sa profession.
Goanna – Le mot de la fin est libre si vous avez quelque chose à ajouter, une info à passer par exemple…ou autre.
Oui, l’adhésion à l’AFD passera à 60 euros pour tous à la rentrée. Nous espérons que cet effort trouvera l’adhésion du plus grand nombre.
www.alliance-francaise-des-designers.org
…Pour une culture visuelle en France