Confondre Paul Auster et Jane Austen ! Pardon, je ne le ferai plus

Par Georgesf


Confondre Paul Auster et Jane Austen ! Pardon, je ne le ferai plus.

(Ou comment écrire un roman : conseils pratiques à l’usage des débutants)

Ma carrière de critique littéraire commence très mal : depuis le temps que je lisais, chez les autres, des billets sur Jane Austen, j’ai voulu faire comme tout le monde, je suis passé à la bibliothèque municipale, assez bien fournie. J’y suis même passé un peu vite, car il me fallait faire mes provisions de lecture, soit dix livres pour le premier mois de l’été. Trop vite : au moment des enregistrements, j’ai constaté que j’avais pris Mr Vertigo de Paul Auster (Référence R. AUS) et non son voisin, Mansfield Park, de Jane Austen (Référence R.AUS). Le titre de ce billet est donc mensonger, c’était juste pour faire rire ou faire crier : je n’ai pas confondu la petite Jane et le petit Paul, je me suis simplement trompé de livre. Mais le sous-titre « Comment écrire un roman.. » ne l’est pas, vous allez voir.

Généralement, les actes manqués me réussissent. La couverture de Mr Vertigo était sympathiquement clinquante, j’ai gardé Paul Auster. Jusqu’ici, c’était drôle.

La première phrase aussi était drôle et belle : « J’avais douze ans la première fois que j’ai marché sur l’eau ». Et même les trois suivantes : «L’homme aux habits noirs m’avait appris à le faire, et je ne prétendrai pas avoir pigé ce truc du jour au lendemain. Quand maître Yehudi m’avait découvert, petit orphelin mendiant dans les rues de Saint-Louis, je n’avais que neuf ans, et avant de me laisser m’exhiber en public, il avait travaillé avec moi sans relâche pendant trois ans. C’était en 1927, l’année de Babe Ruth et de Charles Lindbergh, l’année même où la nuit a commencé à envahir le monde pour toujours. »

Rassurez-vous, j’arrête là mon travail de copiste.

Mais j’ai voulu m’appesantir sur ces quatre premières phrases. Auteurs amateurs, candidats à l’édition, relisez-ça, on atteint là les hauts niveaux du professionnalisme. En 93 mots, tout y est : la présentation du héros principal et du héros complémentaire, le pitch du roman, le cadre, et le ton. Moi, généralement, il me faut une page. Je le dis sans aucune ironie, relisez encore et admirez : avec un début pareil, vous êtes sûr que le lecteur, dans la maison d’édition, va continuer à vous lire, ne serait-ce que pour voir si la suite sera du même tonneau.

C’est ce que j’ai fait, et la suite n’est pas du même tonneau.

C’était quand même emballant, ce début : un livre sur la lévitation, le rêve de tout homme normal. Même que j’en rêve souvent la nuit (oui, hi, hi, je sais, j’entends déjà les ricanements des petits Sigmund). Effectivement, Paul Auster tient jusqu’au premier quart, page 72, sur ce thème : comment Walt, le héros, apprend à léviter. Si le sujet vous intéresse, n’achetez pas le livre, vous n’y trouverez aucun enseignement pratique. Tout au plus une série d’étapes initiatiques un peu sadiques, sans rapport apparent avec l’objectif final. Je résume : à la fin, Walt réussit. Il ne sait pas comment, nous non plus. On est un peu frustré, on voudrait connaître le truc. Pour épaissir ce premier quart, Paul Auster qui est un malin ajoute quelques personnages entre l’élève et le maître : les immondes Oncle Slim et Tante Peg qui se débarrassent de l’orphelin, les gentils Maman Sioux et Ésope ,l’orphelin noir difforme et surdoué, qui constitueront la nouvelle famille de Walt. Sans oublier Mrs Witherspoon, qui ne fera que passer toutes les 50 pages, chaque fois qu’on a besoin d’une Dea ex machina. Le tout est bien enlevé, même si c’est un peu frustrant : moi, j’aurais aimé savoir comment on fait pour léviter, ça peut toujours servir. Auteurs, retenez bien la leçon : quand vous tenez un bon sujet, ne l’épuisez surtout pas trop vite. Pour meubler, introduisez des personnages secondaires, développez-les, rendez-les intéressants, attachants.

Deuxième quart, un peu moins emballant : exploiter le sujet, en le compliquant si possible. Maintenant qu’il sait léviter, le petit Walt, que peut-on en faire ? Vous ne trouvez pas ? Vous ne pourrez jamais devenir auteur à succès : il va se trouver un nom de show-biz (Mr Vertigo) et mettre au point son numéro d’homme volant. Oh, ça ne se fait pas comme ça, il faut qu’il apprenne à voler en hauteur, en largeur, il doit choisir son costume de scène. Et comme Auster ne sait plus quoi faire de Maman Sioux et d’Esope durant ce second quart, il les tue. Mais pas n’importe comment, il faut faire du social : il les fait pendre par le Ku Klux Klan. Assez rapidement, juste assez pour pouvoir en parler sur la quatrième de couv. : « Le virtuosité narrative n’en conduit pas moins le lecteur à découvrir, du Ku Klux Klan au gangstérisme, en passant par la sensualité, quelques facettes étranges de cette Amérique… » Encore une leçon à retenir : en écrivant le roman, pensez toujours à la quatrième de couverture.

Et le gangstérisme ? me direz-vous. Il arrive, c’est le troisième quart. Le jeune Walt se fait enlever par son méchant Oncle Slim, qui demande une rançon. Vous y auriez-pensé, vous ? Moi pas. C’est pour ça que je ne suis pas « reconnu comme l’un des écrivains américains les plus brillants de sa génération ». C’est la quatrième de couverture qui le dit. Je vais demander à Anne Carrière d’ajouter ça au dos de mon prochain recueil, ce sera peut-être un peu juste pour les délais, il ne reste que trois semaines. En tout cas, retenez la leçon : quand vous sentez que le sujet s’épuise, faites sortir un nouvel épisode, au forceps s’il le faut. Il n’a rien à voir avec l’histoire ? Peu importe. Ca se bricole. Il suffit que le gangster soit son oncle du début. On récrit les premières pages pour que ce soit crédible, et hop, le tour est joué !

On arrive ainsi page 210, et le sujet est épuisé. Zut, c’est un peu court pour un roman, ce serait mieux avec un quatrième quart. Que faire ? Vous ne trouvez pas ? Vous ne trouvez rien, c’est inquiétant pour de futurs romanciers les plus brillants de leur génération. Réponse : vous déclarez le sujet épuisé, et vous parlez d’autre chose. Le jeune Walt, n’arrive plus à voler, ça lui fait trop mal à la tête. Pour y remédier, le maître lui suggère de se faire castrer, Walt refuse, et on referme le dossier lévitation. On fera traîner la vie de Walt durant le quatrième quart. Le maître nous révèle un providentiel cancer, il meurt d’autre chose, l’oncle Slim revient pour un nouvel hold-up, je ne vous mets pas le tout dans l’ordre, pour garder le suspense, Walt devient malfrat. Il possède sa boîte de nuit, qu’il appelle… comment ? Oui, vous avez trouvé, c’est bien ça, Mr Vertigo, ça commence, vous devenez un brillant romancier. Il devient pauvre, vieux, raisonnable. Il finit par écrire ses mémoires : en devinerez-vous le titre ?

Bilan éducatif :

1.   Quand vous passez à la médiathèque municipale, ne parlez pas à votre voisine de rayonnage. Restez concentré sur le livre que vous prenez. Imaginez que vous cherchiez un B.H.L . et que vous sortiez avec un Marc Lévy, que va penser la bibliothécaire ?

2.   Pour écrire un bon roman, faites comme Paul Auster : trouvez un bon sujet qui tienne en une ligne. Ecrivez la quatrième de couv pour être sûr de ne rien oublier (le social, surtout, le social !). Puis déroulez le reste, vous vous souvenez, les quatre quarts. Je dis bien quatre, trois quarts, ce n'est jamais .

3.   Ah, j’oubliais, le truc de la fin : pour léviter, il faut être très malheureux. Désespéré. On apprend ça à la dernière page, pour nous récompenser d’avoir lu jusqu’au bout. Mais c’est de la blague : pendant les deux derniers quarts de ma lecture, j’étais de plus en plus désespéré. Mais, je le certifie, je n’ai pas lévité. Ou alors, je n'ai pas remarqué. Je suis très distrait, vous l'aurez compris.

 P.S. Je cite deux bons blogs qui ne disent pas exactement la même chose que moi. Ce qui prouve qu’on a toujours le droit de ne pas être entièrement d’accord, même avec moi.

http://posuto.blog.lemonde.fr/2007/10/20/superbe-arrogance/

http://www.carolyngrey.com/article-19429522.html