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Se construire dans une société à la dérive, de Claudine Sauvain-Dugerdil

Publié le 31 juillet 2021 par Francisrichard @francisrichard
Se construire dans une société à la dérive, de Claudine Sauvain-Dugerdil

L'histoire de Régine exprime la force de la vie, malgré tout, la vie qui continue malgré les coups du destin petits et grands.

Régine, une Rwandaise, 50 ans, 3 fils adolescents, a accepté de témoigner. Son récit a été complété par cinq de ses proches: sa soeur et une de ses amies, son mari et deux collègues de travail, D. et R.

Régine raconte son enfance privilégiée dans une ville de l'ouest du Rwanda. Ses parents, des Tutsis, étaient des gens ouverts et généreux, peu sévères, qui laissaient à leurs sept enfants un peu de liberté:

Nos parents nous ont appris à tolérer les autres, à ne pas faire de différences, peu importe le statut social de la personne en face de nous.

Son père était fonctionnaire d'État et sa mère, infirmière. Celle-ci a arrêté de travailler quand elle a eu son quatrième enfant. Tous deux, tutsis, faisaient partie de la minorité du pays dominé par les Hutus.

Après les massacres des Tutsis en 1959 et en 1973, nombre d'entre eux se sont exilés qui en Ouganda, qui au Burundi. Jusque dans les années 1990, les Tutsis ne peuvent ni entrer ni sortir du pays.

À l'école Régine prend conscience qu'elle est tutsie, minoritaire, et que c'est pourquoi ses camarades de classe se moquent d'elle et de ses soeurs, qui sont, comme elle, de grande taille et très minces.

En internat, elle essuie les brimades, la méchanceté et le racisme des soeurs. Exemple: Une fois, j'ai voulu faire un don de sang, et on m'a dit: "Ah, ton sang, on ne peut pas l'accepter. Il ne peut pas être bon."

En 1989, après une année d'enseignement à Kigali, dans le post-primaire, Régine devient enseignante. Mais elle démissionne parce qu'en raison de l'insécurité elle ne veut pas quitter la capitale.

Elle a alors travaillé dans une boulangerie que les propriétaires suisses lui ont demandé de diriger, puis qu'ils lui ont laissée sous le fallacieux prétexte qu'en tant qu'étrangers, ils devaient être évacués.

En réalité, pour des raisons troubles, ils sont partis sans dire au revoir... Régine s'est trouvée à la tête d'une quinzaine de personnes mais a fait face, sa clientèle étant principalement constituée d'expatriés.

À ce moment-là, en 1990, la guerre commence. Le Front patriotique rwandais, FPR, composé d'anciens Tutsis, empêchés de rentrer dans le pays par le gouvernement hutu, l'attaquent puis se retirent.

Régine est arrêtée, accusée d'aider le FPR, puis relâchée grâce à son sang-froid et à ses appuis dans la communauté internationale. Pendant un peu plus de deux ans encore elle dirige la boulangerie.

Sa mère ayant été blessée, elle attend qu'elle se remette et décide de partir pour le Burundi (où se trouve une de ses soeurs), en août 1992, afin d'y poursuivre des études, qu'elle débute en septembre 1993...

Quand le génocide des Tutsis est entrepris le 7 avril 1994, elle est sur le point de se rendre à Kigali pour assister au mariage de sa soeur aînée. Or toute sa famille est massacrée dès le 8 avril à 10h du matin...

Dans l'impossibilité de rentrer au Rwanda pendant les trois mois que dure le génocide, elle ne se sent pas bien au Burundi où elle a des profs hutus et où elle ne supporte pas les Tutsis de l'extérieur.

Dès que c'est fini, elle rentre donc: Arrivée sur sa place, j'ai compris l'ampleur du drame. Le pays est quasiment vide. Ne restent plus que l'armée tutsie et quelques rescapés complètement traumatisés.

Les rescapés tutsis sont minoritaires. Les militaires du FPR y cherchent des femmes pour se marier. Mais Régine sort déjà avec Tom, qui a le tort d'être blanc. Régine est obligée de quitter le pays, avec lui...

C'est l'exil pour Régine et Tom, lequel deviendra son mari et avec lequel elle aura ses trois enfants. Après avoir vécu aux Caraïbes pendant deux ans et demi, ils s'installeront définitivement à Genève.

Ce qui caractérise Régine, c'est sa capacité à se sortir des situations embrouillées. Ce n'est pas seulement dû au hasard: elle fait avec, et sait se montrer solidaire comme jadis nombre de Rwandais.

Sa force de vivre ne la puise-t-elle pas dans son éthique? En effet, il y a des choses qu'elle n'admet pas et sur lesquelles elle ne transige pas, comme elle le raconte à plusieurs reprises dans son récit.

Bien que se fondant bien dans son pays d'accueil et adoptant ses us et coutumes, elle ne se sent pourtant pas complètement suisse sans vouloir renouer avec la culture rwandaise que de temps en temps.  

Dans sa postface, Claudine Sauvain-Dugerdil donne d'autres pistes pour comprendre sa résilience et son ambivalence, et pour imaginer comment pourrait émerger une société rwandaise plus cohérente.

Francis Richard

Se construire dans une société à la dérive, Claudine Sauvain-Dugerdil, 152 pages, Éditions de l'Aire


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