Je prends le temps, je cherche les mots et, à
chaque fois, sur un coup de tête j'y reviens. Silence, suivi de silence... Perdu dans les pensées, je ne trouve pas de description juste des sentiments qui m'habitent. Entre inquiétudes et
joies, je ne sais pas disséquer les émotions autrement que par des mots contradictoires ; disant blanc à un moment, me voilà à écrire noir l'instant d'après. Epoque étrange, cela je le répète,
époque...
Mes yeux regardent mon corps chuter et pendant un temps très court, mon esprit imagine la douleur. Rien, puis vient le temps de la réalité, du choc. Le dire vite, après avoir un visité le
silence "Je tente d'écrire une histoire et je me laisse absorber par mes personnages". Cette difficulté d'écrire ici est habitée de : "Je tente d'écrire-construire-dessiner notre
prochain spectacle mettant en scène de vieux faiseurs de rêve, désabusés et cyniques, qui veulent léguer à leurs fils une tradition de faiseur de marionnettes dont ils, les fils, ne veulent pas.
Histoire, ou point de départ de l'histoire, fil rouge permettant d'installer une tension dramatique entre les numéros de ce théâtre de marionnettes européen... Dans le cadre d'une dernière
représentation les protagonistes, fils, frères, père, famille se déchire..."
Je prends le temps, je ferme les yeux et je vois, que je ne vois rien. En ce moment, la Ville est vide, un peu plus que d'habitude. Le quartier de l'arbrisseau aussi. Les cris résonnent moins, de
temps à autre, moins souvent qu'à d'autres moments. Le bureau est vide, j'ouvre les yeux, la table déborde.
Traces noires sur le bitume, photographies urbaines des nuits de violence et de voitures brulées. Bientôt, le quartier va vivre des temps de rénovation, qui ne prennent que peu en compte les
réalités humaines de nos voisins de pauvreté..
Je reviens aux mots d'ici. Phrase après phrase, je construirai un immeuble
sombre.
Je vous le disais, j'essaie entre bilans et compte rendus, entre projections et projets d'imaginer la route. Je dois vous dire, c'est comme être en pays inconnu, ne maîtrisant pas la langue, sans
un sou un poche ; le vide et la peur, on avance dans le noir. L'estomac se contracte.
De temps à autres, je me dis, "reviens ici, ouvre le journal, écris quelques mots, cela videra le trop plein, mots jetés au vent, me voila frappant le clavier aussi vite que les deux doigts le
permettent..."
Et toi tu lis ? Le vide sidéral, le monde sombre qui entoure, le corps qui se rebelle qui te dit, fais autre chose, ne prends pas de risque ; commençant la phrase, je ne sais toujours pas où elle
se termine, où elle mène. Je me répète, un mot après l'autre, le sens paraît. J'ai fait un dossier pour Le Festival Mondial de Charleville ; première fois que je fais ça, ce qui amène la question :
combien de temps déjà les marionnettes et moi ? 22 ans, ça fait 22 ans que je me bagarre pour faire ce métier...
Aujourd'hui la Cie Les Mille et une Vies va bien, mais demain ce n'est pas sûr...
La bataille continue toujours ; dans le noir tu avances et, face à la création, je n'ai que mes mots et mes vides ; le corps chute, les yeux regardent les morceaux de l’être cherchant à
retrouver leur équilibre, un moment éloignés de la réalité de la chute…. Dans notre monde, dans cette époque étrange et individualiste, je ne peux que m’interroger sur cet acte ancien, cette prise
de parole de l’individu tentant... quoi au juste ? Je ferme les yeux et dans le vide qui s'installe mon corps devient l'autre en action, acte de création... Dans notre époque "donner" ne dis
rien !