Connaître le corps, est-ce connaître l'âme ?

Publié le 29 juillet 2021 par Anargala

Dans un texte célèbre, le philosophe Henry Bergson annonçait en 1919 que la connaissance du cerveau ne permettra jamais de déterminer précisément les "états corrélés" subjectifs :

"Celui qui pourrait regarder à l’intérieur d’un cerveau en pleine activité, suivre le va-et-vient des atomes et interpréter tout ce qu’ils font, celui-là saurait sans doute quelque chose de ce qui se passe dans l’esprit, mais il n’en saurait que peu de chose. Il en connaîtrait tout juste ce qui est exprimable en gestes, attitudes et mouvements du corps, ce que l’état d’âme contient d’action en voie d’accomplissement, ou simplement naissante : le reste lui échapperait. Il serait, vis-à-vis des pensées et des sentiments qui se déroulent à l’intérieur de la conscience, dans la situation du spectateur qui voit distinctement tout ce que les acteurs font sur la scène, mais n’entend pas un mot de ce qu’ils disent. Sans doute, le va-et-vient des acteurs, leurs gestes et leurs attitudes, ont leur raison d’être dans la pièce qu’ils jouent ; et si nous connaissons le texte, nous pouvons prévoir à peu près le geste ; mais la réciproque n’est pas vraie, et la connaissance des gestes ne nous renseigne que fort peu sur la pièce, parce qu’il y a beaucoup plus dans une fine comédie que les mouvements par lesquels on la scande. Ainsi, je crois que si notre science du mécanisme cérébral était parfaite, et parfaite aussi notre psychologie, nous pourrions deviner ce qui se passe dans le cerveau pour un état d’âme déterminé ; mais l’opération inverse serait impossible, parce que nous aurions le choix, pour un même état du cerveau, entre une foule d’états d’âme différents, également appropriés."

Henri Bergson, L’Énergie spirituelle, 1919

Le fait est que, quand on observe des états du cerveau, on observe pas les états de conscience eux-mêmes. Nous pouvons observer un cerveau qui voit du rouge, mais nous ne voyons pas la vision du rouge elle-même. Seul le domaine objectif est accessible, pas le domaine subjectif. On parle donc d'observer les "corrélats neuronaux" des états subjectifs.

Cependant, Bergson nous prédisait qu'il serait impossible d'accéder au latent, à l'implicite, au subconscient (?), à la conscience elle-même. Or, force est de constater que l'on ne peut accéder aux impressions les plus fines, mais que l'on peut dors et déjà déterminer, en observant un cerveau, s'il voit plutôt du rouge ou du bleu. Et il n'y a pas de raison de douter que ce progrès s'arrête. Tôt ou tard, l'observation du cerveau permettra de "voir" indirectement ce qu'il voit. Or, les pensées ne sont rien d'autre que des sons imaginés, lesquels sons ont bien des corrélats neuronaux, et sont donc, en droit, observables. Les souvenirs, de même, sont potentiellement déchiffrables. Qu'est-ce qui s'y opposerait ?

Certes, nous pourrions répondre que la conscience elle-même reste invisible, car "ce qui voit ne peut être vu". Le sujet ne peut être, à la fois, objet. Il faut choisir. La conscience étant "ce qui voit", elle ne peut être "vue" sans aussitôt perdre sa caractéristique essentiel, à l'image d'un carré que l'on voudrait doter des caractéristiques du cercle : les deux sont incompatibles. Il n'y a pas de conscience de la conscience, à la manière d'un objet. Et pourtant, je suis conscient d'être conscient et d'être conscience... Mais c'est là un autre problème.

La connaissance du cerveau peut-elle être connaissance de l'esprit, de la conscience ? A strictement parler, non. Mais, de fait, la détermination des représentations d'un sujet à partir des états objectifs du cerveau progresse.

Voici des reconstitutions d'images, en bas, à partir d'images du cerveau regardant ces images :

Cela doit-il nous amener à considérer que, derechef, la conscience n'est décidément pas un objet ? Ou bien, au contraire, que la conscience n'est qu'un fantôme et qu'en réalité, rien n'existe de plus que les états du cerveau et les représentations relativement objectives que l'on y peut déchiffrer ?