Le monde entier est un cactus
Il est impossible de s'asseoirDans la vie, il y a qu'des cactusMoi je me pique de le savoirAïe aïe aïe!Ouille!Aïe aïe aïe
Jacques Dutronc
Mais quelle mouche a donc piqué le metteur en scène Josef E. Köpplinger et son décorateur Johannes Leiacker ? Une mouche ? Non ! Mais mille millions de mille cactus !
Dès l'ouverture, la toile d'avant-scène donne à voir un petit cactus en pot, en forme de Mickey Mouse, surplombé par un tout petit nuage, isolé dans le bleu du ciel, qui l'arrose aimablement. Et quand la toile se lève, on se trouve dans une rue dont les façades sont toutes peintes de cactus en gros plan, tout hérissés de dangereuses épines, Plus tard, quand on entrera dans la maison du Dr Bartolo et de sa pupille Rosina, on retrouvera le même décor tapissant les murs, sauf pour la chambre de Rosina, située en galerie à l'étage, et qui est décorée de fleurs mousseuses très voluptueuses en grand format.
C'est que les situations du Barbier sont bien épineuses ! Bartolo est amoureux de sa pupille qui en aime un autre, et il faudra toute l'ingéniosité de Figaro pour désépiner les chemins de l'amour et permettre au comte Almaviva, le soupirant de Rosina, d'épouser sa belle.
Le livret du Barbier, oeuvre de Cesare Sterbini, est déjà en soi l'un des plus drôles de l'histoire de l'opéra, avec des rebondissemnts plus cocasses les uns que les autres. Et quand ce livret tombe dans les mains du très inventif Josef E. Köpplinger, il en devient encore plus désopiquant, oups, pardon, désopilant voulais-je écrire.
Jennifer O'Loughlin, Gyula Rab, Daniel Gutmann,
Cheour du Staatstheater am Gärtnerplatz
© Christian POGO Zach
Sur la scène du Théâtre de la Gaertnerplatz, la maison de Bartolo est située au coeur du quartier rouge où fleurissent les travailleuses du sexe. Drôle d'endroit pour protéger la vertu d'une jeune fille nubile ! Ces dames à la vertu passagère sont en fait bien sympathiques et reçoivent le tout venant au Prostibule (C'est le nom de la maison de passe), dont notamment des prêtres en soutanes qui passent et repassent sur la scène, le bréviaire à la main, et qui sans doute ont à coeur de convertir les belles de nuit. La prostitution n'est pas sans risques et l'on voit une jeune femme pousser un landeau, déjà en cloque d'un second enfant. Les filles de joie sont généreuses et solidaires, et lui donnent de l'argent. Figaro se montre lui aussi très généreux, il apporte des préservatifs à ces dames et aussi des sucettes à des gamins de rue qui lui remettent le produit de leurs larcins en échange, il n'y a pas de petits profits...Aux formes rebondies des dames répondent les torses musclés d'ouvriers le plus souvent occupés perchés sur des échelles à repeindre les cactus des façades ou à proposer de nouveaux modèles de papiers peints représentant des cactus bien épineux. Souvent, ces accortes jeunes gens souffrent de la chaleur et se déshabillent en dévoilant les puissantes musculatures de leurs torses triangulaires.
Le Dr Bartolo (Levente Páll) © Christian POGO Zach
Dans le salon de Bartolo trône un fauteuil de coiffeur placé non loin d'un squelette qui rappelle la profession du propriétaire des lieux. Les fauteuils sont recouverts de tissus à motifs de...cactus. L'abbé de service, Don Basilio, circule à bicyclette. Pour vanter ses dons de calomniateurs, il stigmatise la femme enceinte. Le comte Almaviva, conseillé par Figaro, joue les Protée et se déguise en militaire ou en cureton : ce dernier, le prétendu Don Alonso, se comporte en homosexuel très efféminé, follasse et entreprenant qui, pour donner le change, n'hésite pas à draguer outrageusement le Dr Bartolo et à le poursuivre de ses assiduités avec force gestes déplacés.On s'amuse énormément à ce spectacle mené par la troupe très soudée du Théâtre de la Gaertnerplatz. Les trouvailles de Köpplinger se succèdent à grand train et les grands tableaux d'ensemble sont des plus réussis.
Dès l'ouverture, les violons et les bois de l'orchestre, menés par le très dynamique Michael Brandstätter, nous entraînent dans le monde aussi joyeux que mouvementé de Figaro auquel le bouillonnant Matija Meić prête son imposante stature. Guyla Rab chante le comte avec son ténor léger qu'il déploie plus en finesse qu'en puissance. La ravissante et talentueuse Jennifer O'Loughlin donne une excellente Rosina, qui sous des airs ingénus et avec des arias bien enlevés se montre éminemment futée et ingénieuse ("...e cento tappole faró giocar.""). Levente Páll compose un Bartolo des plus réussis : ce n'est pas le vieux barbon ridicule habituel mais un homme dans la force de l'âge un peu trop autoritaire et qui n'a pas su se frayer un chemin vers le coeur de Rosina. Levente Páll fait preuve d'une agilité vocale peu commune. Il donne un Bartolo drôle et attachant à la fois, avec un chant soutenu et parfaitement délivré, une voix bien projetée et puissante, avec en point d'orgue un travail des plus remarquables dans le sillabato diabolique à la fin de son aria "A un dottor della mia sorte". Timo Sirlantzis offre les belles profondeurs de son baryton-basse à Don Basilio et en impose dans son grand air de la calomnie, très applaudi. Dans les rôles secondaires, la Berta d'Anna Agathonos remporte un beau succès dans son aria "Il vecchietto cerca moglie". Daniel Gutmann( Fiorillo) n'est pas seulement doué pour le chant, il sait aussi jouer de la guitare !
Une excellente soirée passée trop vite dans la bonne humeur.
Le spectacle a été produit en coproduction avec le Capitole de Toulouse et le Liceu de Barcelone. On pourra revoir cette mise en scène du 28 octobre au 21 novembre 2021 au Theater-am-Gaertnerplatz de Munich et du 20 au 29 mai 2022 au Capitole de Toulouse.