La chose est désormais officielle : le GDI Vincent Desportes va se voir propulser à la tête du prestigieux Collège Interarmées de Défense, quittant ainsi le CDEF qu’il dirigeait avec talent depuis 2005. Félicitations pour cette nomination et bonne chance à son successeur.
Le dernier ouvrage de Desportes, « La guerre probable », a suscité moult commentaires, mais, pour l’encore jeune et impressionnable esprit qui écrit dans ces pages, c’est « Décider dans l’incertitude » et, plus encore, « Comprendre la guerre » qui ont véritablement imprimé leurs marques en remettant sur de sains rails clausewitziens une réflexion qui, sans repères forts, pouvait facilement s’égarer. Pour résumer le rôle du théoricien, Desportes emprunte à l’artiste Paul Klee cette très belle expression : « l’art ne rapporte pas le réel, il rend visible ». En rendant visible certaines vérités fondamentales de la guerre à nos yeux parfois embrumés, le futur directeur du CID aura fait, et continuera de faire dans un cadre encore plus large (puisque interarmes et non plus seulement « Terre »), œuvre nécessaire dans la galaxie stratégique française.
Après cette introduction en forme d’hommage, votre serviteur va bifurquer vers le champ sémantique pour ensuite en revenir à Desportes et plus particulièrement à l’une de ses suggestions récurrentes.
Parlons donc un peu concept et doctrine pour clarifier ces deux termes et ce qu’ils recouvrent. Le Nº 25 de la revue Héraclès propose ainsi des définitions qui méritent qu’on les présente afin, là encore, de faciliter la bonne compréhension du vrai sens des mots lorsqu’on pense une problématique stratégique et militaire.
- Le concept répond à la question QUOI ? (ou POURQUOI ?) :
C’est dans le cadre de la Stratégie Nationale, c'est-à-dire de celle qui, selon Desportes, en temps de paix comme en temps de guerre, rassemble et combine l’ensemble des ressources et des instruments nécessaires au succès des fins politiques nationales, que le concept d’emploi des forces trouve son essence et qu’on en définit la substance. Car cette Grande Stratégie donne bien sur un rôle aux forces armées. Ce rôle est défini par le Concept, qui « correspond à l’idée et à l’action générales choisies pour répondre à une situation stratégique et aux besoins militaires prévus dans le concept plus général de sécurité et de défense »[i].
Le concept qui guide l’action des forces s’inscrit donc lui-même dans un autre ensemble plus vaste, qui est du ressort des autorités d’abord politiques puis politico-militaires, et trace le chemin de la Nation vers l’obtention des buts stratégiques qu’elle s’est fixée. Il s’agit d’une ligne de pensée et d’action qui se mesure sur le temps long, d’où une exigence de robustesse qui lui permet de résister à l’évolution des événements.
- La doctrine répond à la question COMMENT ? :
La doctrine est le produit opérationnel du concept défini ultérieurement. A l’inverse de son inspirateur, l’une de ses caractéristiques est de savoir s’adapter aux évolutions de toutes natures qui affectent la force (technologiques, par exemple, mais aussi budgétaires puisque la quantité de forces disponibles affectera la doctrine en espérant que cette variation, en plus ou en moins, aura été appréhendé correctement dans la phase conceptuelle).
La doctrine exprime donc « à un moment donné, la façon dont les forces entendent s’organiser, s’entraîner et d’engager dans les différents types d’opération possibles pour remplir avec succès les missions susceptibles de leur être confiées »[ii]. La nature même de la doctrine lui commande donc l’évolution tandis que le concept se doit d’être solide s’il veut exister avec cohérence.
- Quels enseignements en tirer ?
Certains esprits forts pourraient penser que ce type de discussion dénote chez son auteur une tendance à vouloir tarauder l’arrière-train du diptère… Que nenni ! La nuance entre « concept » et « doctrine » renvoie, bien au contraire, à deux exigences fondamentales :
- La nécessité de mettre en place un État Stratège qui appréhende convenablement le monde et la place qu’il veut donner à la Nation dans celui-ci ; un État qui dirige et concentre toutes ses facultés vers un but qu’il se fixe et décide d’atteindre dans la durée.
- L’impérieuse exigence, et l’on rejoint ici Desportes, d’installer une communauté de doctrines au sein des forces armées, un cadre d’action dans lequel le chef sur le terrain pourra exercer sa liberté de jugement en sachant pouvoir se fier à des références doctrinales que tous ses collègues partagent[iii].
Ces deux impératifs sont le gage d’une bonne marche du pays vers la préservation de sa liberté d’action par l’emploi de tous les moyens dont il dispose. Un concept erroné ne saurait engendrer de bonnes doctrines et des doctrines qui ne sauront s’adapter aux fluctuations de l’environnement rendront le concept initial inopérant.
Où l’on voit également l’ardente obligation, pour le politique qui s’élève dans la hiérarchie décisionnelle, de posséder une solide culture stratégique sous peine de proposer, voire d’imposer, des concepts défaillants.
Tiens, une petite suggestion pour finir : et si le cursus démocratique imposait justement à nos apprentis gouvernants un passage sur les bancs du CID ?
Mais non, je plaisante là…
[i] Héraclès N°25, p 16.
[ii] Héraclès N°25, p 17.
[iii] Ce que Desportes nomme « la cohérence des initiatives par la culture et la confiance ».