Respirer avant les prochains pas.
Respirer en pensant à ce moment tant attendu, des heures de balade dans les limbes du net, avec ses impasses et ses mirages. Un, deux et même trois sites de rencontres, en même temps, pour meubler mes soirées après le boulot. J'avais mis de côté les trop nombreuses sorties avec les amis et les copines, dépenses d'énergie qui dévoraient mes heures de sommeil et surtout ne me faisaient pas croiser le chemin du prince charmant. Non que j'ai des doutes sur ma sexualité, encore moins sur mes envies charnelles, je doutais de tout, d'aimer parfois, plus encore d'être aimée. Mais j'avais cette étrange impression de ne pas exister. Le temps passait, fuyait un peu plus durant les saisons froides d'automne et d'hiver, je me rattrapais en m'amusant avec la mode, mais là mon dressing était plein, le lit un peu vide, le canapé jamais plein. Rassurée à moitié par les copines qui concluaient pour mieux emménager chez lui ou chez elle, avant de débarquer avec leurs sacs et valises un soir de rupture, j'avais une seconde chambre souvent occupée, mais un vide pesant en moi. Boulot intéressant, beau cabinet comptable avec des clients satisfaits de mon efficacité reconnue, des associés sereins et des promotions régulières depuis cinq ans, mais rien à titre personnel. Un miroir, avec mes sourires et mes doutes, chacun jouait à cache-cache avec mon image. Déplaisant jeu de dupes. Pas d'amoureux. Juste quelques corps masculins, sans prénom, pour une nuit ou une semaine maximum, et puis encore rien.
Là devant mon écran, je croupissais derrière mes profils, décortiquant les pièges des affabulateurs, les intrépides sans but et les désespérés sans sentiments, les affamés aux bas-ventres trop expressifs, les maniaques et les dingues aussi. Que de clics inutiles, de rigolades aussi face aux abysses développés dans certains échanges, j'avais changé au moins dix fois mes photos, certains de mes goûts qui attiraient les malsains, affinant ma recherche, tombant dans le néant certains soirs, frôlant la folie de plusieurs propositions de coïts pour le jour suivant. Heureusement sur l'écran d'à côté, il y avait mes séries préférées, les copines au téléphone, quelques tapas party pour remplir le samedi soir.
Rien. Puis lui. Un soir, un peu tard, fatiguée, prête à fermer l'ordinateur, pensant déjà au moelleux du lit, et là un message poli, sobre et souriant. Une réponse, deux messages suivis de dizaines d'autres et le sommeil vainqueur. Dès le lendemain, d'autres messages, des soirées, des semaines, un vrai début d'échange entre amitié et plus si affinité. Un pincement là sous ma poitrine. Lui toujours, plus que lui d'ailleurs. Un rendez-vous envisagé, mes déplacements et les siens, un croisement impossible avant, noël, avant le prochain printemps. Et soudain, il y a eu ce coup de frein. Brusque, plus de trains, d'avions ou même de trajets en voiture pour des réunions d'expertise avec les clients, des hôtels le soir. L'agenda libéré mais figé, les messages toujours aussi forts. Rien. Enfin si juste un écran, chez soi. Chacun chez soi. Trop loin. Inaccessible.
Des semaines, des mois, des mois encore, et une histoire plus forte, une première visio à défaut de se voir, mieux que nos deux voix dans un téléphone, mais loin de notre attente, de cette instant magique souhaité par nous deux, pour se voir enfin en mode réel. Nous avions, nous avons appris à nous connaître, nos passions communes ou pas, nos points communs, nos petits défauts avoués, nos envies, nos rêves aussi, nos prochains pas. Ensemble si possible ! Alors nous avons fini par en rire, par nous habituer à cette situation nouvelle pour tous, à ces doutes face à la contagion, à ces nouvelles frontières toujours renouvelées avec de nouvelles contraintes.
Nous avons disserté sur un simple baiser. S'embrasser en vrai, lèvres contre lèvres, sans masques, sans rien, juste deux corps en vérité. L'amour dans ses premiers pas, mais aussi les suivants, chair contre chair, courbes affolées cherchant corps enivrés. Nous avons beaucoup ri en parlant de ce recul forcé, de cette liberté au bout d'un tunnel trop long, encore obscur. Les prochaines semaines, les prochaines vacances, juste un week-end, juste un simple rendez-vous.
Juste un baiser.
Nylonement