LA CONTRADICTION. Dans le sixième article de cette série sur la Philosophie de l'élégance, je mentionne les arguments à faible pouvoir persuasif dont usent parfois les Pyrrhoniens. Ils invoquent aussi l'isosthénie, c'est-à-dire la reconnaissance de la force égale des arguments opposés proposés par les Dogmatiques sur tout ce qui est soumis à un examen, réalité dont les Sophistes se servent pour affirmer tout aussi bien une chose que son contraire et toujours persuader, quelle que soit la position prise. En élégance, la contradiction est un des éléments de beauté avec lequel on joue, comme on le fait avec la symétrie ou d'autres, car elle est une source d'harmonie, pour ne pas dire harmonique, du moins celle dont je parle ici. En cuisine, savoir allier différentes saveurs (amère, sucrée, piquante, douce...) est une marque de savoir-faire. C'est un jeu entre les opposés. Cette contradiction libère aussi des carcans et de tous les dogmes et autres fardeaux que l'on prend sur soi ou que l'on nous impose. Voici ce que dit Diogène Laërce sur Pyrrhon (traduction Robert Genaille) : " Il soutenait qu'il n'y avait ni beau, ni laid, ni juste, ni injuste, que rien n'existe réellement et d'une façon vraie, mais qu'en toute chose les hommes se gouvernent selon la coutume et la loi. Car une chose n'est pas plutôt ceci que cela. " Ce même passage est ainsi traduit dans remacle.org : " Il soutenait que rien n'est honnête ni honteux, juste ni injuste, et de même pour tout le reste ; que rien, en un mot, n'a une nature déterminée et absolue, et que les actions des hommes n'ont pas d'autre principe que la loi et la coutume, puisqu'une chose n'a pas plus tel caractère que tel autre. "
Amener la contradiction dans ce que l'on dit ne consiste pas à mentir, encore moins contredire qui que ce soit juste pour contredire (avoir l'esprit de contradiction), mais à dire à dessein quelque chose qui semble en contradiction avec ce que l'on vient de dire. Il s'agit d'un outil finement humoristique pour amener l'auditeur à prendre de la distance sur la parole que l'on donne pour aller directement à la vérité qui est au-delà de celle-ci. En quelque sorte, il s'agit d'une plaisanterie sérieuse ayant pour objectif la jubilation. On n'est pas dans le contradictoire : on ne contredit personne, mais se contredit soi-même sciemment afin d'apporter une sorte de suspension, comme le fait un haïku, une respiration, comme peut aussi le faire le silence. Ce n'est pas non plus un outil rhétorique, du moins pas plus que ne peut l'être l'humour ou un trait d'esprit. L'auditeur qui ne saisit pas cette 'auto-contradiction jubilatoire' n'y verra qu'une contradiction dans ce qui est dit, et donc une marque de stupidité. Personnellement, je suis sûr que je suis passé une multitude de fois à côté de la sagesse, la prenant pour de la stupidité ou de la rusticité, simplement parce que je me suis trouvé face à mon propre miroir, c'est-à-dire ce que je suis dans l'instant avec mes 'faiblesses' et mes 'forces'. Je fournis un exemple de contraction au début de l' article VIII où je commence par la critique du trop de parole, alors que les articles de cette série sont une véritable logorrhée.Avec la crise orchestrée autour du coronavirus on a assisté à une infinité de contradictions néfastes, en relation directe avec le mal : mensonges, bêtise, avarice, manipulations, etc. Par exemple, toutes les mesures prises par le Gouvernement au nom de la science étaient, et sont encore au moment où j'écris ces lignes, en contradiction avec le bon-sens et ce qu'affirment les scientifiques compétents et honnêtes.
Pour revenir à la saine contradiction... souvent elle ne se contredit qu'en apparence. Lorsque Montaigne écrit : " Heureux qui sachent resjouyr et gratifier leur sens par l'insensibilité et vivre de leur mort. ", il arrive à décrire, avec des mots qui s'opposent, un état indescriptible.
Mais de tout ceci il est difficile de parler, car sa non-compréhension peut amener à toutes les folies, dont la folie contemporaine, complètement désinhibée, qui peut afficher une chose et son contraire sans honte et surtout en ne se préoccupant pas des conséquences désastreuses. Une des figures du panthéon tibétain dit que son esprit est comme le ciel mais ses actions aussi fines qu'un grain de sable.
Ci-dessus : Carte postale envoyée en 1904 : " LES VIVEURS Le jeune gommeux Le vieux mendigot ".