Dans le numéro de juin de Chronic’art (journal réputé "élitiste"), Frédéric Beigbeder s’étalait en couverture. Il donnait ensuite un assez long entretien. Il expliquait, en gros, qu’il avait changé, qu’il fallait se placer sous le signe de la rupture. Cela semble être à la mode ces derniers mois, dire qu’on a changé, dire qu’on veut rompre avec le passé.
En quoi donc FB aurait-il changé ? Il semble avoir décidé de s’effacer davantage derrière son œuvre. Il a arrêté ses chroniques littéraires dans le Grand Journal sur Canal+. Il a arrêté de donner des interviews à des revues futiles comme Elle et privilégie désormais Chronic’art. Il veut accorder à la littérature toute sa place, finis la télé, la pub, cet univers factice. Il se contentera de les décrire dans ses romans en les sublimant, en en faisant de l’art.
La thématique de l’entretien et les photos qui vont avec jouent avec tout le champ lexical de la rédemption, du salut, de l’expiation de la faute. On retrouve d’ailleurs cette idée dans le titre même du roman : Au secours pardon.
Bref il semblerait que le "message" que veut faire passer Beigbeder s’articule d’abord autour de lui-même, de sa conception de la littérature et de l’écrivain. Premier paradoxe, alors même que l’œuvre souhaite accéder au premier plan. Il semblerait par ailleurs que la "stratégie marketing" soit déjà bien déroulée, les photos de Beigbeder en croix renvoyant (avec l’ironie et le décalage beigbederiens habituels) à l’iconographie religieuse. Second paradoxe, alors même que l’œuvre souhaite accéder au premier plan.
Je me pose, personnellement, plusieurs questions :
1/ après l’énorme succès des Bienveillantes de Jonathan Littell, après la grande discrétion que le romancier américain a souhaité orchestrer, refusant la plupart des apparitions médiatiques, ne souhaitant pas se déplacer pour recevoir le Prix Goncourt, il semblerait que l’effacement de l’auteur redevienne "à la mode". Le Magazine Littéraire consacrait du reste son dernier numéro à Julien Gracq, qui symbolise mieux que quiconque ce refus de la starification de l’auteur au détriment de l’œuvre.
On dirait bien que Beigbeder, à la base publicitaire et donc à l’affût des "tendances", ait fleuré ce retour (tout relatif) à l’intégrité. Marre des Christine Angot, des Yann Moix et autres Florian Zeller qui s’affichent sur les plateaux télé, vivent les reclus (cf. aussi le cas Houellebecq qui s’est retiré en Irlande après les nombreuses polémiques provoquées par ses déclarations).
2/ la posture de Beigbeder, étant donné ses antécédents, est-elle encore crédible ? Peut-on avoir représenté le symbole des nuits parisiennes, du médiatique mainstream, peut-on avoir été longtemps le requin publicitaire transposé dans 99 francs, et se poser désormais en vierge immaculée ? Peut-on réellement changer ?
Plus amusant encore : n’est-il pas terriblement facile, désormais que l’argent s’est accumulé, que le compte en banques s’est bien garni, que toutes les ficelles sont mises en place, que l’image et le discours sont parfaitement rodés, de dire qu’on se retire de tout ça ?
Tout cela aurait bien plus de gueule si, tel François d’Assise, Beigbeder se débarrassait de tous ses oripeaux, allait faire don de sa fortune et de ses biens aux nécessiteux tout en déclarant qu’il a changé. Là, il se contente de parler aux oiseaux mais du haut de sa tour d’ivoire. Plus convenu non ?
Très franchement, la posture nouvelle de Frédéric Beigbeder me laisse dubitatif. Je ne veux ni attaquer son talent littéraire (peut-être Au secours pardon est-il un grand roman ? moins futile et anecdotique que ses œuvres précédentes ? moins captif de l’œuvre d’un Bret Easton Ellis, avec toutefois le bémol majeur qu’il n’en extrait que la surface et jamais la profondeur ?), ni sa sincérité (peut-être FB a-t-il réellement décidé de la mettre en veilleuse ? de ne plus être cet insupportable cabotin familier des plateaux télé et de la presse people ?).
Mais le moins que l’on puisse dire, c’est que le challenge à relever est immense ! Il faudra de longs mois, voire de longues années, pour savoir ce que valaient ces déclarations d’intention du printemps 2007.