Grazia Deledda nous donne à voir la Sardaigne de la fin du XIXème siècle, du moins la partie de l’île où elle a vécu son enfance.
Cosima, la jeune héroïne, présente une première vision de ce monde de paysans, de bergers et de commerçants : c’est une réalité bien sombre, y compris dans le cercle familial ; mais cependant une réalité où circulent les contes et les chansons populaires.
Cosima superpose une autre vision, celle d’un monde tourné vers le surnaturel, la magie et peuplé de fées. Cet aspect du monde lui donne le courage de commencer à écrire dès l’adolescence.
Du courage, il lui en faudra pendant des années pour affronter l’adversité, même et surtout quand elle aura publié ses premiers récits. Un exemple : sa mère s’inquiète davantage du sort de Cosima que de celui de ses fils, un alcoolique et un débauché qui dilapident les biens familiaux, parce qu’elle est une jeune femme qui écrit.
Mais un jour, Cosima a découvert une colline, avec une petite église où se déroule une neuvaine à la Madone. Elle va y séjourner et s’isoler dans une cabane ; elle écrit et se laisse gagner par ce paysage, à ses yeux le lieu idéal de la poésie.
Oh, elle avait bien apporté son encrier, enveloppé dans un chiffon noir et fourré dans une chaussure pour qu’il ne se renverse pas durant le transport ; et elle trouva aussi, dans la demeure primitive, une espèce de niche, qui aurait dû servir pour quelques bougies et quelques images pieuses, mais dans laquelle elle déposa son encrier, son porte-plume, son carnet et quelques livres, formant ainsi un petit autel pour les mystères de son art.
Ensuite elle rejoignit ses sœurs dans le bois ; et ce furent des heures et puis des jours de joie exaltante. Ne fût-ce pas un rêve ? Mais un de ces rêves qui suffisent à éclairer une vie, même dans les coins les plus ombragés, comme le soleil et la lune éclairaient, en ces jours fabuleux d’août, le bois de chênes verts autour de la petite église miraculeuse. Quelle importance cela avait-il que la cabane soit modeste et l’accueil fruste ? Elle servait de refuge seulement la nuit, et pour Cosima pendant ses heures d’écriture ; le bruissement du bois la couvrait du son d’un orgue, et la lune de son drap argenté. (…) Mais pour Cosima, c’était quelque chose de plus vaste et de plus palpitant ; c’était tout un réseau de mystères, un déroulement de choses surprenantes, comme si elle flottait sur un fond océanique, entourée, non par le bois sauvage de chênes verts et les rochers fantastiques, mais par toutes les merveilles des forêts sous-marines.
En ce lieu magique, Cosima guette et espère l’arrivée du jeune homme dont elle est éprise.
(…) et le seul espoir de le voir, même à la dérobée, dans ce paysage qui était le paysage même de la Poésie, remplissait l’âme de Cosima d’une joie sans limites. (Extrait pages 97-98).
Choix de Philippe Fumery
Grazia Deledda, Cosima, Cambourakis, 2021, 172 pages, 10€