Madame Van Gogh brosse avec poésie le portrait intime du célèbre peintre sous un angle tout à fait inédit.
Madame Van Gogh nous ramène à l'été 1891. Vincent Van Gogh vient de mourir, ses tableaux ne valent rien. Mais sa belle-sœur Johanna - héritière de son œuvre - et le jeune peintre Émile Bernard entendent bien offrir à l'artiste et à ses toiles un tout autre destin. Et c'est à l'échange vif, passionné et passionnant auquel ils se livrent que nous assistons. Un très joli moment porté par des comédiens touchants de sincérité.
Regards croisés sur Van Gogh
Que faire de toutes les toiles du peintre à présent qu'il est mort ? Émile Bernard, plein d'esprit, d'arrogance et de malice, veut exposer de toute urgence, rendre l'œuvre célèbre quitte à créer un scandale pour allumer le brasier du succès. Johanna quant à elle, plus mesurée, veut que cette œuvre existe pour ce qu'elle est, sans trahir la mémoire du peintre, sans rien travestir. Elle possède les tableaux, lui les souvenirs. Elle est dans une quête de vérité, lui dans un désir de reconnaissance.
Dès lors, c'est à la fois un partage et une véritable négociation qui se met en place entre eux. Et c'est réjouissant ! L'un et l'autre vont s'enrichir mutuellement en mêlant leurs visions respectives de cet homme que Johanna connaît à travers la correspondance fournie qu'il entretenait avec son frère Théo (si l'on considère qu'un peu plus de 600 lettres constitue un échange fourni !), et qu'Émile connaît quant à lui à travers le lien d'amitié qui l'unissait au peintre.
© Laurent SabathéUn condensé de talents
Nous avions trois bonnes raisons d'aller voir ce spectacle. Cliff Paillé tout d'abord, dont la plume nous fait chavirer à tous les coups. Romain AK ensuite, l'un des comédiens les plus brillants de sa génération à n'en pas douter - que l'on retrouve aussi dans la toute dernière création du même auteur, Chaplin, 1939 (autre petit bijou à ne pas manquer durant ce Off). Et enfin Lyne Lebreton, que nous redécouvrons ici avec bonheur après qu'elle nous a séduit au Off 2019 dans la pièce (du même auteur toujours !), Tant qu'il y aura des coquelicots.
Et Van Gogh nous direz-vous ? Car s'il est le grand absent de cette pièce, il n'en demeure par moins le personnage principal. Eh bien, pour être parfaitement honnêtes, nous ne somme passionnés ni par la peinture, ni par ce peintre. Mais c'est là l'une des forces de création de cet auteur : parvenir à nous captiver et à nous intéresser avec des sujets pour lesquels nous n'avons à priori aucune affinité ! Nul besoin d'être féru d'Art, donc, pour découvrir et apprécier ce spectacle.
© Laurent SabathéUn tableau poétique
L'écriture est élégante, sensible, poétique. Elle sert d'écrin à un propos qui captivera donc tout autant les amateurs et connaisseurs de peinture que les néophytes. Les échanges sont puissants et d'une fluidité parfaite. Ils sont ponctués de fines notes d'humour - apportées par le personnage brillant et espiègle d'Émile Bernard - qui font souffler un véritable vent de fraîcheur sur cette pièce.
Romain AK et Lyne Lebreton sont beaux et lumineux dans ces rôles qu'ils incarnent avec un naturel déconcertant. Ils nous captivent tout autant que les différents tableaux du peintre projetés en arrière-plan durant la pièce. De quoi parfaire l'atmosphère intimiste et chaleureuse, baignée d'une lumière cuivrée, de l'appartement de Johanna - tapissé des lettres des deux frères ! - dans lequel se déroule l'histoire.
© Laurent SabathéUne approche intelligente et accessible
On se régale de cette relation épistolaire qui prend habilement sous nos yeux la forme d'une conversation fougueuse et peu à peu complice. Et l'on éprouve rapidement de la sympathie pour ces deux êtres dont les ambitions divergentes vont venir s'électriser avec délice autour de ces fameuses lettres qui témoignent d'une relation intrigante et complexe entre les deux frères. Et dont quelques bribes nous parviennent çà et là.
Ainsi, cette jolie création nous aura permis de (mieux) connaître celui que l'on surnomme le peintre maudit ; de (re)découvrir son œuvre immense et de comprendre de quelle manière Vincent est devenu Van Gogh, un peu malgré lui. Et c'est surtout l'homme que nous rencontrons finalement. Un être entier, obstiné, intelligent et profondément seul, dont les toiles expriment l'immensité d'une vie à laquelle il n'avait pas accès. " Son œuvre, c'est le vol d'un oiseau resté enfermé dans sa cage. " Nous sommes charmés.