Tu vois, je veux beaucoup.
Je veux peut-être tout :
l’obscurité dans l’infini de chaque chute,
le jeu tremblant de lumière de chaque ascension.
Il y en a tant qui vivent et ne veulent rien
et que les plats sentiments de leur facile tribunal
font rois.
Mais toi, tu te réjouis de tout visage
qui sert et qui a soif.
Tu te réjouis de tous ceux qui ont besoin de toi
comme d’un ustensile.
Tu n’es pas encore froid, il n’est pas trop tard
pour plonger dans tes infinies profondeurs
où la vie paisible se révèle.
*
Du siehst, ich will viel.
Vielleicht will ich Alles:
das Dunkel jedes unendlichen Falles
und jedes Steigens lichtzitterndes Spiel.
Es leben so viele und wollen nichts,
und sind durch ihres leichten Gerichts
glatte Gefühle gefürstet.
Aber du freust dich jedes Gesichts,
das dient und dürstet.
Du freust dich Aller, die dich gebrauchen
wie ein Gerät.
Noch bist du nicht kalt, und es ist nicht zu spät,
in deine werdenden Tiefen zu tauchen,
wo sich das Leben ruhig verrät.
22.9.1899, Berlin-Schmargendorf
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Rainer Maria Rilke (1875-1926) – Le Livre de la vie monastique (Arfuyen, 2019) – Traduit de l’allemand par Gérard Pfister.