Le lambeau

de Philippe Lançon

Récit biographique - 500 pages

Editions Gallimard - mai 2018

Editions poche Folio - janvier 2020

Prix Fémina 2018

Le 7 janvier 2015, Philippe Lançon était à la rédaction de Charlie Hebdo quand des bottes noires se sont déchaînées sur ses collègues, quand il a senti qu'il n'avait plus de mâchoire et que son sang comme celui d'autres s'était répandu brusquement, inintelligiblement. Il est rescapé, survivant, témoin, et sera l'acteur d'une reconstruction laborieuse. Une nouvelle sur-vie démarre pour lui, entre les murs des hôpitaux, entre la Salpétrière et l'hôpital militaire des Invalides, entre les mains de la chirurgienne Chloé et d'autres qui ont pouvoir sur ses capacités à venir.

Un récit d'alité, un journal de bord terrifiant, long, libre avec les allers retours qui se succèdent entre la vie d'avant et celle mise en lambeau.

Les mots de Philippe Lançon frappent par leur sincérité, par leur manière de se mettre à nu pour décrire son infirmité, son inhumanité, la perte de son langage et d'autres facultés physiologiques. Sincère aussi par ses peurs, ses espoirs démesurés et impatients qu'il porte dans le protocole de chirurgie, sa gratitude d'être considéré, sa fuite du retour au monde social bruyant, inquiétant et incompréhensif.

Extrait :

"C’est alors, ouvrant les yeux, j’ai vu la grande salle de réveil et sa lumière blafarde, entre jaune et vert, et, les baissant vers le pied de mon lit, au lieu de la rambarde en fer forgé et de la housse de couette, ce drap jaune inconnu sur lequel reposaient deux bras et deux mains bandés, il me fallu quelques secondes pour comprendre qu’il s’agissait des miens, dans ces secondes qui allaient au-delà du lit, tout le reste s’est engouffré, l’attentat et les minutes suivantes, et avec lui les cinquante et un ans d’une existence qui prenait fin ici, dans cette prise de conscience, à cet instant."

La notion de temps change, et le livre a été long à lire. J'ai ressenti l'infinie longueurs des nuits passées à souffrir, les implacables images d'après les détonations qui se rappellent à soi. C'est aussi le récit d'un homme vidé de toute haine contre les assassins, un homme simplement blessé, en lambeau de l'intérieur et l'extérieur, mais qui se raccroche aux lambeaux d'espoirs des énièmes opérations, des nouvelles premières fois, des heures nouvelles à réussir à tenir debout. Des lambeaux de vie qui œuvrent à réparer un homme. Marquant.

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