Critique de Jubiler, de Denis Lachaud, vu le 18 juillet 2021 à l’Artéphile Théâtre
Avec Benoît Giros et Judith Rémy, dans une mise en scène de Pierre Notte
Jubiler, c’est un peu mon choix le plus random de ce Festival. J’ai réservé ma place parce que je connais quelqu’un qui connaît quelqu’un qui joue dans ce spectacle. Mais moi-même je ne connais personne, je n’ai rien lu, c’est à peine si j’ai vu l’affiche. Et c’est quelque chose que j’adore, à Avignon, et qui m’arrive de moins en moins – parce que je connais des comédiens, des troupes, des lieux – de choisir un spectacle sans raison « rationnelle ». Comme si j’avais ouvert le programme et pointé du doigt un spectacle au hasard. Mais c’est un peu mieux que le hasard, là, puisque c’est un conseil d’ami.
Mathieu et Stéphanie ont cinquante ans. Ils vivent tous les deux seuls – il a divorcé, elle est veuve. Ils se sont rencontrés sur un site de rencontre. Ils se découvrent, ils confrontent leur vision du couple, ils réapprennent à aimer et à se faire confiance. Ils construisent une relation différente de leur précédente, ils ont appris de leurs erreurs, ils ont pris du recul : leur couple ne doit pas éclipser la liberté de chacun. Ils doivent s’aimer en laissant de la place à leurs émotions et leurs individualités. Pas facile.
Il y a un défaut qui revient souvent dans ce OFF : les auteurs ne savent plus couper leur texte. Et c’est dommage, car la pièce de Denis Lachaud commençait bien. Sa description du couple, avec ses bons moments, ses éclats à partir d’un mot de trop, ses questionnements incessants, est plutôt bien observée. Ce petit rien qui transforme un duo en un couple, on le touche du doigt, ou plutôt on le voit apparaître au fur et à mesure que se dessine la relation entre nos deux personnages. Les deux comédiens parviennent à nous faire sentir la naissance d’une alchimie qui les lie pour toujours. Il faut dire qu’ils sont très bons ; ce sont eux qui portent le spectacle. Benoît Giros, dans une fragilité assumée sans caricature et Judith Rémy, qui révèle au fil du texte la force de son personnage de femme absolument indépendante, se complètent comme le yin et le yang.
Mais arrive l’instant de trop, l’instant qu’il aurait fallu couper. C’est toujours risqué de proposer une « fausse fin », de ralentir le rythme, de faire le noir, et d’essayer d’enchaîner par la suite. C’est prendre le spectateur par surprise, et le redémarrage demande beaucoup d’adresse pour récupérer qui s’apprête alors à applaudir. Cette scène finale est très différente de ce à quoi on a pu assister jusqu’alors : on n’est plus dans le dialogue, on n’est plus dans le couple, on est dans une sorte d’excroissance sociologique qui tombe comme un cheveu sur la soupe. Soudain, le personnage de Stéphanie se transforme en figure de transfuge de classe et tout devient alors très conceptuel. Comme si l’auteur avait eu peur qu’on l’accuse de niaiserie, de légèreté avec son sujet et qu’il tenait absolument à faire passer un message. Il faut arrêter avec les messages. Ce que font passer les deux comédiens, ce petit rien avec lequel ils jouent pendant la première partie de la pièce, c’est ça l’important. Ce petit rien, c’est tout.
Deux excellents acteurs portent ce joli spectacle dont le texte mériterait quelques coupes.