65 miles interroge sur les fondements de l'individu et sur notre place dans cette société qui a perdu ses repères et ses valeurs.
65 miles nous immerge dans l'histoire tourmentée d'une famille des années 80. Celle de deux frères, dont l'un sort de prison après avoir purgé une peine de 10 ans pour homicide involontaire et espère retrouver sa fille. Elle nous parle de famille, de transmission, des liens, des non-dits, de la solitude, du pardon. Bref, elle nous parle d' humanité. Une pièce solide et touchante, portée par des comédiens convaincants. A voir absolument !
Une famille décousue
Les retrouvailles pudiques entre les deux frères font d'abord sourire par la manière dont l'un et l'autre tentent d'échapper à leurs émotions en se réfugiant derrière des banalités et des notes d'humour. Mais les 9 ans et demi qui viennent de les séparer les rattrapent vite. Et si tout semble les opposer, on découvre peu à peu que l'un et l'autre cherchent finalement à réparer ce qui a ou ce qui n'a pas été fait.
Pete cherche sa fille qu'il n'a pas vu depuis 15 ans, tandis que Rich tente de renouer le contact avec son ex-petite amie, Luce, qu'il a abandonnée après qu'elle est tombée enceinte et a décidé d'avorter. Et si Rich reproche à Pete de n'avoir jamais répondu à ses lettres, lui-même se voit ensuite reprocher par Luce de n'avoir jamais répondu aux siennes... Des drames qui se font écho. Les non-dits explosent tour à tour, les plaies mal fermées se déchirent à nouveau.
Des histoires humaines
Les deux frères sont donc dans une même quête de réparation, en proie à des sentiments de solitude et de culpabilité qui les rongent et les rapprochent. Les scènes qui se succèdent sont toutes plus captivantes les unes que les autres. On est émus de cet échange troublant, à la sortie de l'école, entre Rich et une adolescente en laquelle il croit trouver sa fille tant il l'espère. On est touchés aussi par Luce, dont la douleur finit par jaillir lorsque Rich pousse la porte de sa boutique de chocolats pour tenter de rétablir le dialogue.
Nous nous sommes régalés devant cette pièce d'une grande richesse, tant sur le plan de l'histoire, des relations entre les personnages, du jeu de comédiens, que de la scénographie très inventive et habile. Tout est très détaillé, précis, réaliste et intelligemment orchestré. Il s'en dégage à la fois quelque chose de rude, de brumeux, et une profonde douceur teintée de touches subtiles d'humour anglais qui nous fait ressentir de l'empathie pour ces êtres que leurs fêlures rendent profondément humains.
Des personnages écorchés magnifiquement interprétés
Il existe une véritable tension dramatique entre ces êtres qui tentent d'échapper à leurs solitudes, de réparer des liens abîmés, de mieux faire. Une tension qui se ressent aussi bien dans la personnalité des uns et des autres que dans l'atmosphère cinématographique créée par la mise en scène et renforcée par les références musicales. Ainsi, Radiohead, Police ou encore les Beatles s'invitent dans les espaces entre-deux scènes qui ouvrent de petites fenêtres sur l'existence hors scène des personnages.
Les comédiens sont vrais. Ils incarnent tous avec une grande justesse ces âmes complexes et torturées dont les fêlures nous touchent, nous parlent. Et si Émilie Aubertot nous a un peu moins convaincus dans son rôle d'adolescente, Stefan Godin en revanche - dans le rôle de Franck, le beau-père des deux frères - nous a particulièrement éblouis par son charisme et sa finesse de jeu. Un moment fort de théâtre.