Longtemps après quelques géants du domaine, sous la pression persistante des trublions tels que Robinhood, Citi annonce à son tour le lancement d'une plate-forme de trading personnel (presque) sans frais ni commissions. La valeur stratégique d'une telle démarche, purement défensive, devient pourtant de plus en plus difficile à justifier.
Le principe n'a plus rien d'original. Intégré à leur application mobile habituelle, le module Citi Self Invest propose aux clients de la banque, après l'ouverture d'un compte titres, d'acheter et vendre des actions et des fonds indiciels (en attendant l'arrivée prochaine d'autres instruments collectifs), sans minimum d'investissement, sans coût (hormis les frais de gestion des ETF). Pour faire bonne mesure, l'ensemble s'accompagne de contenus informationnels et éducatifs, dont on peut toutefois craindre qu'ils s'avèrent relativement génériques (comme dans le cas, récent, de CommBank).
Mais pourquoi Citi s'aventure-t-elle dans une telle direction ? Selon toute vraisemblance, elle cède à un réflexe commun à l'ensemble du secteur. Ainsi, les institutions financières, confrontées à la concurrence d'une nouvelle génération d'acteurs, commencent par décrier le modèle gratuit qu'ils mettent souvent en place dans leur phase de conquête initiale… Puis, se sentant menacées par leur croissance exponentielle, elles adoptent la même tactique, sans nécessairement se poser la question de leur cible à terme.
Le raisonnement sous-jacent est trivial et semble imparable. Sûrs de leur puissance, les grands groupes estiment qu'ils sont en mesure de prendre les startups à leur propre jeu, leurs moyens colossaux leur permettant de soutenir une bataille acharnée des tarifs, jusqu'à la victoire, certaine, face à des entreprises en déficit structurel permanent. Or cette perception souffre de quelques approximations et de plusieurs fausses hypothèses, qui mettent sérieusement en doute les conclusions auxquelles elle aboutit.
La première erreur, classique, consiste à croire que la gratuité est l'unique stratégie des nouveaux entrants alors qu'il ne s'agit généralement que d'une étape ou d'une composante sur le chemin de la définition d'une équation économique différente, destinée principalement à réduire la friction d'acquisition massive de clientèle. En conséquence, il sera toujours hasardeux de chercher à étouffer un adversaire en l'attaquant sur un aspect qui ne figure pas (seul) au cœur de sa différenciation sur le marché.
Deuxième méprise, l'impact de la gratuité sur une jeune pousse, dont la technologie et les processus optimisés lui procurent une efficacité opérationnelle incomparable, est infiniment plus faible (d'un ordre de grandeur, à tout le moins) que la même approche dans un établissement traditionnel, qui n'a pas envisagé au préalable de remettre à plat ses méthodes de travail et continue à s'appuyer sur un système d'information historique, avec ses multiples limitations nécessitant des interventions humaines régulières.
Enfin, non seulement les capitaux engagés pour maintenir une politique de prix attractive sont-ils comparativement modérés, mais il se trouve en outre que, après un creux au cœur de la crise sanitaire, la période actuelle redevient propice à des levées de fonds importantes, qui donnent de l'air à ces acteurs. À l'inverse, les banques se trouvent, elles, dans une conjoncture où elles sont plutôt à la recherche de sources de revenus. L'heure est donc particulièrement mal choisie pour riposter avec des produits gratuits !
Fondamentalement, le choix des banques d'affronter la FinTech sur son terrain de prédilection paraît assez incompréhensible (sauf pour celles qui ont profondément réussi leur mutation « digitale », mais elles sont bien rares). Elles ont tout intérêt à essayer de contrer l'offensive en mettant en avant leurs forces spécifiques, à commencer – comme l'illustre par exemple cette initiative de Belfius – par leur capacité de conseil de proximité, qu'il faudrait toutefois remettre à niveau pour qu'elle soit réellement convaincante.